L'ATTRAPE-SOUCI de Catherine FAYE

L'ATTRAPE-SOUCI de Catherine FAYE
Aux Editions Mazarine - 299 pages


Décembre 2001. Lucien, onze ans, vient d’arriver à Buenos Aires avec sa mère. Dans une librairie, il est captivé par de mystérieuses petites boîtes jaunes. Dedans, de minuscules poupées. Selon une légende, si on leur confie ses soucis avant de s’endormir, le lendemain, ils se sont envolés. 


Le temps qu’il choisisse son attrape-souci, c’est sa mère qui s’est envolée. Disparue. Lucien part à sa recherche. Se perd. Au fil de ses errances, il fait des rencontres singulières. 


Cartonniers, prostituées, gamins des rues avec qui il se lie, un temps. Et grâce à qui, envers et contre tout, il se construit, apprend à grandir. Autrement. Rebaptisé Lucio par ses compagnons de route, cet enfant rêveur et déterminé incarne ce possible porte-bonheur que chacun a en soi.


Mon avis


Lucien et sa mère entament un voyage à Buesnos Aires après la chute des Twin Towers en 2001. La mère veut faire découvrir ses racines argentines à son fils.

Au détour d'une librairie, elle lui raconte ce que sont les petites boites colorées vue dans les rayonnages : 
« Quand tu as un souci, n'importe lequel, tu glisses une des petites poupées sous ton oreiller, tu le lui confies et le lendemain matin, quand tu te réveilles, plus de souci, il s'est envolé.». 


Lucien, 11 ans, sera "oublié" par sa mère, lavé par une pluie diluvienne de son passé. Projeté dans l'inconnu, il devient Lucio, se lance dans une quête pour comprendre ce qui lui arrive, trouver la meilleure voie pour retrouver sa mère.


Des rencontres diverses que la providence a mise sur sa route, vont lui permettre de grandir et d'échapper à de mauvaises postures. D'Arrigo à Ariana, une protection et une aide discrète lui seront apportées. Une bienveillance et une humanité partagées un temps avec bien des personnages, cartonniers, prostituées, jardinier, gamins des rues, dont les situations sont précaires mais qui l'accueillent et le soutiennent.

Cependant, au fil des rencontres, on lui laisse entendre qu'il doit grandir, trouver lui-même les moyens de sa subsistance... Lucio vit dans la peur constante, qu'on découvre sa situation d'enfant abandonné, qu'on le renvoie en France avant qu'il n'ait retrouvé sa mère. Peur, qu'on le confie à son oncle détestable.

Garrido, le jardinier, grainetier, lui fera comprendre qu'il n'y a pas de mauvaises graines. Le jardinier a pris soin de la jeune pousse, l'a tuteuré avec amour pour qu'il s'épanouisse, Adela et lui l'aideront à se construire.

Cette mère disparue au sortir de la librairie était-elle si aimante ? Il faudra à l'épilogue se garder de juger : "le blanc et le noir, il y en a marre. Le gris, il n'y a que ça d'humain" a dit Romain Gary, l'auteure a créé une fiction à l'issue qui ne peut laisser insensible. "Porte toi bonheur" lui dit-elle...


Catherine Faye nous offre un premier roman sombre au suspense addictif, au ton juste, à la plume sensible, émouvant. La tension s'intensifie au fil des pages. Tout au long des trois années passées avec Lucio et ses compères, on a envie de le rassurer, de réparer son enfance.

C'est un roman exotique, feel good tout de même, d'une situation terriblement traumatisante pour l'enfant de 11 ans qu'est Lucien, va émerger le jeune homme, définitivement Lucio, qui s'est trouvé grâce au voyage initiatique qui s'enracine dans les fleurs argentines de Garrigo.

"Plu besoin de petite boîte pour soulager ma peine. J'avais découvert quelque choses de bien plus fort au fond de moi"

Lucio, persévérant, sort de l'innocence en s'étant trouvé une mère enfin !




ARIANE de MYRIAM LEROY

ARIANE de Myriam LEROY 
Aux Editions Don Quichotte - 208 pages

" Quand j'ai eu douze ans, mes parents m'ont inscrite dans une école de riches. J'y suis restée deux années. C'est là que j'ai rencontré Ariane. Il ne me reste rien d'elle, ou presque. Trois lettres froissées, aucune image. Aucun résultat ne s'affiche lorsqu'on tape son nom sur Google. Ariane a vécu vingt ans et elle n'apparaît nulle part. Quand j'ai voulu en parler, l'autre jour, rien ne m'est venu. J'avais souhaité sa mort et je l'avais accueillie avec soulagement. Elle ne m'avait pas bouleversée, pas torturée, elle ne revient pas me hanter. C'est fini. C'est tout. "


Elles sont collégiennes et s'aiment d'amour dur. L'une vient d'un milieu modeste et collectionne les complexes. L'autre est d'une beauté vénéneuse et mène une existence légère entre sa piscine et son terrain de tennis. L'autre, c'est Ariane, jeune fille incandescente avec qui la narratrice noue une relation furieuse, exclusive, nourrie par les sévices qu'elles infligent aux autres. Mais leur histoire est toxique et porte en elle un poison à effet lent, mais sûr.


Premier roman sur une amitié féroce, faite de codes secrets et de signes de reconnaissance, à la vie à la mort. Myriam Leroy est journaliste, presse et radio, et écrit pour le théâtre. Elle habite Bruxelles.


Nominations : Prix Goncourt du premier roman

Mon avis

J'avoue, s'il ne m'avait pas été suggéré par les "68 premières fois", je n'aurais probablement pas sélectionné le roman de Myriam Leroy. 

Cinquante nuances de noirceur habitent ce récit. La jeune narratrice, revient sur son amitié avec Ariane. La belle Ariane est une "belle des poisons".
Charismatique et mal dans sa peau, la belle indienne attire comme la dionée piégerait une mouche, sans aucune chance d'échapper à une issue cruelle pour deux personnes qui ont la vie devant elles.

Les deux jeunes filles vont se construire et se reconnaître dans leur différence, l'une pseudo-bourgeoise, l'autre d'une famille aisée pervertie par le pouvoir de l'argent.

Ne vous y trompez pas... Le roman, son atmosphère, la relation, tout est décrit avec une justesse dérangeante, d'une plume habile. Un style incisif et cru, troublant de vérité qui mérite qu'on le lise sans joie, jusqu'à sa conclusion fatale. 

Peut-être est-ce dû au fait que l'adolescence a été bien plus insouciante voire clémente pour moi que pour ses deux jeunes femmes dont les parents sont dépressifs, si peu heureux eux-mêmes. Je n'ai pas non plus trouvé l'émotion de cette amitié amoureuse, la description en est parfois trop clinique. Pourtant la plume frappe au coeur. Quelle tristesse que ce rendez-vous raté avec la vie, la découverte de la séduction, le partage, les cascades de rires... ont été remplacées par les jeux pervers, la torture mentale de jeunes garçons boutonneux et trop confiants.

"Ariane a vécu et elle n'apparaît nulle part"... la jeune narratrice raconte ses quelques années de 12 à 14 ans ou une fusion parfaite les a unit puis désunit. A l'heure de la narration, elle ne semble pas plus épanouie, structurée que dans ses années de fusion avec la belle Ariane. 

Le roman est écrit à la première personne, est-ce autobiographique ou purement fictionnel ? L'écriture nous plonge dans les affres d'une adolescence en souffrance, qui cherche sa place dans un univers qui n'a pas pris la mesure de ses difficultés à grandir et entrer dans le monde adulte.

Le voyage initiatique de ces deux jeunes filles laisse groggy par le mal-être qui transpire jusqu'à l'épilogue.










L'HOMME DE GRAND SOLEIL de Jacques GAUBIL

L'HOMME DE GRAND SOLEIL de Jacques GAUBIL
Aux Editions PAUL&MIKE - 248 Pages
Un médecin de Montréal se rend tous les mois à Grand Soleil, un village perdu dans le Québec arctique. Docteur de l’âme autant que du corps, il y rencontre Cléophas, un patient particulier.
Conservé par le froid qui a saisi cette partie du Canada, l'homme de Grand Soleil a vécu caché, il n’a rien écrit, rien accompli de notable et personne ne le connaît. Pourtant son apparition va tout bouleverser, sous le regard impuissant du médecin, témoin d’un monde qui se délite.
Avec une plume intelligente, incisive et souvent drôle, Jacques Gaubil dresse un portrait froid et parfois cruel de l’homme moderne, tout en proposant un récit bienveillant et chaleureux.






MON AVIS :



Joli cadeau des 68 premières fois. Quelle merveille de sensibilité et d'humour ce roman ! Une plume drôle et intelligente, un verbe choisi ! Une vision du monde à l'aune de la vision de Tim Cook.


Jacques Gaudil nous conte une histoire extraordinaire. Le docteur Leboucher, médecin, "commis" d'office pour cause de nouveauté, doit se rendre à Kisikawi.
Autrement appelé Grand Soleil. 

"Il n'y a pas de mot en français pour décrire le froid, il faut utiliser du  Québécois : frette, une sorte de méga superlatif de froid."... Bien que je ne sois pas doué en langues étrangères, J'en ai instantanément compris le sens. Pour le Larousse, la frette est une armure métallique, ce qui démontre que les Français n'ont aucune idée du froid."

Il s'y rend sans ambitionner d'y apporter de solutions toutes faites. Il y rencontre Cléophas, qui impose le respect par sa carrure d'abord, par son génome ensuite, la bibliothèque de cet homme est également hors du commun.
Le lieu abrite des trésors. Le "graal" des bibliophiles.

Ce roman est prétexte à décortiquer la société d'aujourd'hui de Montréal, à Cuba, une époque, le tourisme de masse, les rencontres virtuelles, l'inhumanité de l'humanité avec une causticité et un humour qui n'excluent pas la profondeur de réflexion. Une fable.

Un voyage décalé pour se recaler sur l'essentiel : l'autre, le bien-vivre. "ce livre, je ne l'ai pas écrit pour laisser une trace ou pour vous distraire" dit Jacques Gaubil "Ce n'est pas une oeuvre littéraire..."

Pourtant quel choc ! ce roman ne laisse pas indifférent. Un rappel à la vie.




ON SE REVERRA de LISA JEWEL

ON SE REVERRA de LISA JEWELL
Aux Editions MILADY - 416 pages


Les souvenirs, c'est comme les cadavres : tôt ou tard, ils refont surface.
Qui est cet homme assis sur la plage en pleine tempête, sur le lieu d'un crime commis vingt ans plus tôt ? 
Il n'a pas de nom, pas de manteau, et a perdu la mémoire. 
Alice prend l'inconnu sous son aile et décide de l'héberger, sans savoir qu'il va bouleverser sa vie à jamais. 
Au même moment, dans la banlieue de Londres, Lily attend en vain le retour de l'homme qu'elle vient d'épouser et dont la police tarde à signaler la disparition. 
Parviendra-t-elle à retrouver celui pour qui elle a tout abandonné ? 
Un roman haletant au suspense maîtrisé. 
MON AVIS :
Voici un roman au suspense haletant qui vous captive de la première à la dernière page !
Alice est un esprit libre, artiste, elle n'est pas vraiment marginale mais elle n'a pas choisi la norme. 
Franck est un homme en souffrance, en état de choc. Venu s'échouer sur la plage de Ridinghouse Bay, aimanté par le lieu mais la mémoire vide. Incapable de savoir pourquoi il est là.
Alice l'apprivoise après une nuit passée sur la plage, trempé et amnésique, elle n'a pas le coeur de le laisser à la rue, ni de prévenir la police. Il a plus l'air d'un chien perdu que d'un dangereux criminel. Alice a trois enfants de pères différents, elle a trois chiens dont deux qu'elle a recueilli. Alice est une bonne âme, elle voit le beau où les autres se méfient.
Lily est la jeune mariée idéale, un mari qui ne vit que pour elle, jusqu'au jour ou il disparaît. Elle est Ukrainienne, parle la langue suffisamment pour déclarer aux autorités la disparition de son mari. Le couperet tombe. Carl n'existe pas.
Carl est un homme tranquille. Métro-boulot-dodo. Sa seule fantaisie, une épouse de 20 ans plus jeune que lui, étrangère belle et naïve.
Le point commun de ces 4 personnages : deux disparitions et une station balnéaire Ridinghouse Bay.
L'histoire se déroule au gré des bribes de souvenirs qui remontent à la mémoire de Franck, des recherches de Lily et Alice. Un récit angoissant qui résiste jusqu'aux dernières pages.
Les personnages sont construits, crédibles surtout celui de Lily, jeune étrangère amoureuse, qui ne sait quasiment rien de son tendre époux. 
Lisa Jewell, joue avec le lecteur, lui laissant tantôt l'impression d'avoir compris et le ramenant à sa réalité ! Rien n'est laissé à la facilité. Une immersion dans l'intrigue, vous attachera aux personnages, vous souffrirez avec eux et l'auteure vous manipulera sans vergogne jusqu'à l'épilogue. Après tout, recouvrer la mémoire est un travail de longue haleine.
Merci à Babelio et aux Editions Milady pour la belle découverte de la plume de Lisa Jewel. Je suivrai attentivement la sortie des prochains romans de cette auteure.  Un excellent moment de lecture !

L'AILE DES VIERGES de Laurence PEYRIN

L'AILE DES VIERGES de Laurence Peyrin
Aux Editions Calmnann-Levy - 468 pages

Doit-on trahir ses convictions et ses rêves
pour un peu de bonheur ?
Un extraordinaire portrait de femme libre.

Angleterre, avril 1946. La jeune femme qui remonte l’allée de Sheperd House, majestueux manoir du Kent, a le coeur lourd.
Car aujourd’hui, Maggie Fuller, jeune veuve au fort caractère, petite-fille d’une des premières suffragettes, fille d’une sage-femme féministe, entre au service des très riches Lyon-Thorpe.
Elle qui rêvait de partir en Amérique et de devenir médecin va s’installer dans une chambre de bonne. Intégrer la petite armée de domestiques semblant vivre encore au siècle précédent n’est pas chose aisée pour cette jeune femme cultivée et émancipée.

Mais Maggie va bientôt découvrir qu’elle n’est pas seule à se sentir prise au piège à Sheperd House et que, contre toute attente, son douloureux échec sera le début d’un long chemin passionnel vers la liberté.

Mon avis :

Le romantisme de la couverture est trompeuse, le monde n'a pas été tendre avec Martha-Maggie Fuller, fille d'Elizabeth, sage-femme éprise de liberté  qui jugeait que les femmes étaient capables de penser par elle-même, d'exister sous leur propre nom, même mariées...Petite-fille d'Augusta O'neill, infirmière, membre active de l'Union Sociale et Politique des femmes, suffragette. Maggie est une idéaliste.

Son histoire est celle d'une jeune femme "normale" au destin extraordinaire au sortir de la guerre. Comme nombre d'anglaises de cette époque, veuve, sans ressources, elle doit trouver un emploi pour rester indépendante.

Laurence Peyrin réussit le pari de nous faire vivre une passion sans mièvrerie. L'histoire de Maggie et John est totalement addictive.

L'époque, les lieux sont parfaitement documentés pour une parfaite compréhension du contexte historique, l'ambiance à Sheperd-house décortiquée.


Maggie rêvait d'être médecin en Amérique, le destin en décidera autrement. La voici remontant l'allée de Sheperd-House, résidence des Lyon-Thorpe.
Pippa-ma-chère y régente le domaine et sa domesticité.

Quelle tragédie pour cette femme de 26 ans, très consciente de sa condition sociale, éduquée, ambitieuse qui a la conviction qu'elle doit être libre, coincée dans ce petit monde hiérarchisé, femme de chambre, au milieu de rumeurs, secrets, rivalités.


On entre au service des Lyon-Thorpe, comme on entre en monastère. C'est ainsi que Maggie intègre l'aile des vierges, rebelle en sommeil, déterminée à ne rester que quelques mois. 

Pourtant les Colin, Bertha, leurs règles éculées n'ont qu'à bien se tenir. Une injustice et la voilà, le droit en étendard, à une époque où il n'est pas de mise d'avoir une opinion lorsqu'on est une femme, domestique qui plus est. 

Le charme opère d'abord sur les majestueuses falaises de Folkestone qui bordent le domaine des Lyon-Thorpe puis dans le Brooklyn naissant où Maggie va se choisir un avenir pour les autres en s'oubliant un peu. Elle n'oubliera jamais l'amour qu'il soit fraternel ou passionnel, il balisera son chemin.

Maggie est une héroïne. L'aile des vierges un "Autant en emporte le vent" moderne. Les éléphants se souviendront de Karen Blixen et de Laurence Peyrin.

De "Zelda Zonk", "Miss Cyclone" à Maggie Fuller, Laurence Peyrin sait raconter des histoires faussement légères, vibrantes, avec humour, délicatesse. Les seconds rôles ne le sont jamais vraiment. 

De roman en roman, j'aime chaque fois plus le style et les personnages de Laurence Peyrin !