LE NORD DU MONDE - Nathalie YOT

LE NORD DU MONDE
Auteur : NATHALIE YOT
Editeur : Editions LA CONTRE ALLEE (...)  -  145 pages 

« Elle fuit. Elle fuit l’homme chien. Elle trotte comme un poulain pour qu’il ne la rattrape pas, aussi pour fabriquer la peinture des fresques du dedans. Elle voudrait la folie mais elle ne vient pas. Toucher le mur du fond, le Nord du Monde, se cramer dans la lumière, le jour, la nuit, effacer, crier et ne plus se reconnaître. Sur la route, il y a Monsieur Pierre, il y a la Flaish, il y a les habitants des parcs, il y a Andrée, il y a les Polonais, Elan, Vince et Piort, et aussi Rommetweit, les Allemands, les Denant. Il y a Isaac, neuf ans environ. Et il y a les limites. »



Mon Avis :


Cherche-ton le bonheur au soleil ? La narratrice fuit vers le Nord, là où on ne la cherchera pas. Pas équipée pour ce nord du monde.



Cette femme dans sa fuite effrénée n'emporte rien. Rien que le vide. Juste le besoin d'éprouver le corps dans une course de poulain. Le trot est le remède.

Nathalie Yot m'a embarqué totalement dans cette fuite en avant, tendue vers l'absence de l'homme-chien, la reconstruction de trop d'amour. 

De chrysalide à papillon noir, la narratrice pousse ses limites, creuse l'écart pour mettre la peur en pause. La chaleur et l'amour la pousseront à avancer toujours plus loin.

Ce roman est terriblement dérangeant. Cependant la poésie du texte adoucit la dureté du propos. Road trip habité par l'énergie du désespoir, celui de sortir de la solitude, de ne pas être cassée, de se prouver qu'on peut se guérir par le mélange des corps, qu'on peut partager. Perturbant, captivant tout à la fois, un peu comme lorsque l'on regarde une scène trop difficile au travers de ses doigts. 

Le nord du monde est une déchirure poétique, une quête de l'amour absolu. un récit glaçant, une glissade vers la folie des sentiments. 

Un roman élégant par son style, consternant par la violence du sujet, j'ai été désarmée devant l'audace des sujets évoqués autour de la relation à l'autre : dépendance, fuite en avant, déconstruction-reconstruction de l'être, dépression, recherche d'un amour toujours plus absolu, détachement-enchevêtrement des corps pour thérapie.

Difficile de prendre position, il faut simplement se laisser bousculer, digérer ce texte. S'interroger. S'autoriser à perdre le nord pour suivre l'auteure, combattre le jugement. 

Aurèle disait : "Vivre chaque jour comme si c'était le dernier ; ne pas s'agiter, ne pas sommeiller, ne pas faire semblant". L'auteur nous offre une histoire sans concessions, fait basculer son héroïne dans une quête d'amour sans compromis. Vivre furieusement, égoïstement, hors tabous. Un roman marquant !

Ma B.O. du roman :
The dark side of time (Eric SERRA)


Sélection 2018



EN ATTENDANT LA NEIGE - Christine DESROUSSEAUX

EN ATTENDANT LA NEIGE
Auteur : Christine DESROUSSEAUX
Editeur : CALMANN LEVY - 288 pages

« Hier, quand j’ai poussé la porte du chalet, j’ai eu immédiatement l’impression d’être arrivée dans un lieu qui m’attendait. Un lieu possible en tout cas. Un lieu vivable. La pièce unique tapissée de bois, le colossal poêle central, les fenêtres ouvertes sur le velours des prairies, tout m’a plu. »

Morez, dans le Haut Jura. C’est là que Vera a décidé de s'exiler quelque temps. Le corps et l’esprit encore endoloris après l’accident de voiture dont elle est responsable et qui a coûté la vie à sa mère, elle investit ce chalet pour se sevrer des médicaments, recouvrer la mémoire et fuir la surveillance de son envahissante sœur.La montagne apparaît en effet comme le lieu idéal pour se reconstruire.
Mais Vera n’est pas la seule à y être venue enterrer son passé et, toute à sa renaissance, elle ignore les menaces qui planent.Des habitants hostiles.
Un voisin aussi séduisant que mystérieux. Et la neige qui risque à tout moment de bloquer la vallée… 


Mon avis :

Ce roman m'a intrigué, couverture sobre, quatrième de couverture qui ouvre sur plusieurs histoires inquiétantes possibles. 

L'athmosphère ouatée d'un village du haut Jura pour décor, Véra se sent à l'abri d'une soeur envahissante. Pourtant, l'hostilité ne vient pas seulement du climat, sa logeuse Louise n'a de cesse de lui suggérer de partir au plus tôt avant l'arrivée de la neige. Les chasseurs de la région n'ont pas l'air de goûter sa présence non plus. Un voisin énigmatique et solitaire loge au-dessus de son chalet. Un détective privé qui furète dans les parages.

Suspense maîtrisé, tension savamment distillée au fur et à mesure d'un récit millimétré. Une pleïade de personnages plutôt étonnants : Max-Géronimo, chaman autoproclamé, neveu de Louise ; Iwina cafetier féru de littérature, Mathilde l'aînée de Véra, directive, envahissante dont l'amour étouffe la petite soeur. Est-ce de l'amour d'ailleurs ? 

Véra s'offre une pause pour se sevrer de cette soeur trop pressante, des médicaments qui l'abrutissent, de l'angoisse des flash-backs de sa mémoire défaillante. La neige va recouvrir le paysage, la tempête va réveiller ses souvenirs pour l'aider à comprendre son passé récent.

Ajoutez à tout cela le cadavre abîmé d'une jeune femme de vingt ans... Une enquête, des remises en question, le retour de la mémoire, tout est là pour un thriller psychologique bien mené. Une fin inattendue pour ficeler le tout.

Christine Desrousseaux offre un roman efficace à l'écriture ciselée, délicate sur fond de noirceur humaine. 

Merci à l'auteure et aux éditions Calmann-Levy pour cette intrigue habile qui vous soustrait au temps !


Ma B.O. du roman :

Les neiges du Kilimandjaro de Pascal Danel



Simple - Julie Estève

SIMPLE
Auteure : Julie Estève
Edtions Stock - 208 pages
On ne l’appelle jamais Antoine Orsini dans ce village perché au coeur des montagnes corses mais le baoul, l’idiot du coin. À la marge, bizarre, farceur, sorcier, bouc émissaire, Antoine parle à sa chaise, lui raconte son histoire, celles des autres, et son lien ambigu avec Florence Biancarelli, une gamine de seize ans retrouvée morte au milieu des pins et des années 80.
Qui est coupable ?
On plonge à pic dans la poésie, le monde et la langue singulière d’un homme simple, jusqu’à la cruelle vérité.






Mon avis :

Roman à suspense, cruel récit de la vie d'Antoine Orsini. Personne ne l'appelait ainsi. Vous l'aurez compris, il est mort.

Antoine a perdu son prénom à la naissance. Il a tué sa mère. Enfin, c'est ce que le père répète à l'envi. C'est le cadet d'une fraterie de trois enfants. Il est différent, complexe. 

Tout le monde l'appelle le "Baoul" dans son beau village de Corse. Son refuge c'est l'arbre au pied de la maison de Florence. Un soleil, Florence. Jolie comme un coeur, ses seize printemps attisent bien des convoitises chez les garçons comme chez les hommes du village. Elle est différente aussi, Florence. Bien trop jolie... 

Ce "Simplet" là, a vécu une vie de solitude à tenter de préserver Florence de ses prédateurs. Accusé à tort de la mort de la jeune fille, il va jeter son dévolu sur une chaise abîmée, comme lui. Tout lui raconter de façon décousue, sans omettre de détails sur la vie des villageois, leur travers. Personne ne veut voir son innocence enfantine, absolue. Comprendre sa capacité à être le témoin crédule des vilénies des autres sans rien révéler.

Vous entendrez sa voix de candide dire avec des mots simples, crus sa réalité, le machiavélisme de ceux qui le montrent du doigt, le condamnent, le rejettent, crachent sur sa tombe. Le village lui fera expier ses propres fautes.

Antoine est attachant, touchant. L'histoire est cruelle. On sourit avec tendresse à ses facéties téléphoniques. Antoine est un brave garçon, comme on dit au village. L'auteure nous offre une histoire souvent brutale de cabossés avec poésie, tendresse, humour. 

Un récit juste qui touche au coeur, émerveille, désarçonne par sa violence. Comme moi, vous aurez envie de rendre son prénom à Antoine, de croire qu'il a vraiment trouvé un ami, même si c'est en prison. Un peu de bonheur simple, lumineux comme le sourire de Florence.

Julie Estève nous offre un roman audacieux, généreux, plein d'humanité, pour raconter comment toute l'incompréhension de l'autre, lorsqu'il ne rentre pas dans la norme, peut mettre un voile sur les mauvaises actions des plus "normaux", la cruauté sociale. Un bouc-émissaire bien pratique l'Antoine Orsini.

Ma B.O. du roman :

HUMAN de Rag'nBone Man

Sélection Automne



LA JEUNE FILLE SUR LA FALAISE Lucinda Riley

LA JEUNE FILLE SUR LA FALAISE
de Lucinda Riley
Editions Charleston - 512 pages

Pour échapper à une récente rupture, Grania Ryan quitte New York pour aller se ressourcer en Irlande auprès de sa famille. C'est là, au bord d'une falaise, qu'elle rencontre Aurora Lisle, une petite fille qui va changer sa vie.

En trouvant de vieilles lettres datant de 1914, elle se rend compte du lien qui unit leurs deux familles. Les horreurs de la guerre, l'attrait irrésistible du ballet, le destin d'un enfant abandonné, ont fait naître un héritage de chagrin, qui a tour à tour marqué chaque nouvelle génération.

C'est finalement l'intuition d'Aurora qui leur permettra de se libérer des chaînes du passé, et d'aller vers un futur où l'amour triomphe sur la perte.




Mon avis


Je découvre Lucinda Riley avec cette saga familiale. Un roman, histoires de femmes, danseuses de 1900 à nos jours, liées par un amour immodéré pour Aurore, héroïne du ballet "la belle au bois dormant". Les sentiments des personnages sont délicatement livrés par la plume fluide de l'auteure.

Les familles Ryan et Lisle imbriquées par l'amour d'un lieu : l'irlande, la baie de Dunworley dans le comté de Cork. L'auteure décrit des personnages émouvants, des paysages sauvages. Des secrets, des fillettes, des non-dits. 

En parallèle, l'histoire de Matt le New-Yorkais, comme celle d'Anna ne sont pas assez développées à mon goût. Grania va vivre des émotions fortes, découvrir le lien entre les Ryan, les Lisles, se découvrir, réapprivoiser l'amour avec son âme d'artiste. Toutefois, la flamboyance du début de son aventure s'amenuise dans les derniers chapitres au profit d'Aurora, Anna, Mary et les autres, Destins mêlés à travers le temps. Ces générations de femmes toutes fortes, sont pour les premières animées par une passion la danse classique, les ballets Russes.

Une histoire à tiroirs, captivante dès les premiers chapitres qui s'essoufle un peu par choix de l'auteur d'un florilège de personnages dont tous les parcours ne sont pas développés. Des péripéties nombreuses, des invraisemblances aussi, mais l'écriture de Lucinda Riley rend cela confortable. Un fil rouge, les commentaires d'Aurora qui accompagnent les événements de la vie de Grania.

Un excellent moment de lecture, d'évasion romantique comme peu l'être l'âme slave.

Ma B.O. du roman :

Deux petits chaussons de satin blanc - André Claveau



Fais de moi la colère Vincent Villeminot

FAIS DE MOI LA COLERE 
Auteur : Vincent Villeminot
Aux Editions LES ESCALES

Le jour où son père, pêcheur de longue date, se noie, Ismaëlle se retrouve seule. 
Seule, vertigineusement, avec pour legs un métier d’homme et une chair de jeune fille.
Mais très vite, sur le lac franco-suisse, d’autres corps se mettent à flotter. Des morts nus, anonymes, par dizaines, par centaines, venus d’on ne sait où — remontés des profondeurs de la fosse.
C’est en ces circonstances qu’Ismaëlle croisera Ezéchiel, fils d’un « Ogre » africain, qui a traversé les guerres du continent noir et vient sur ces rives affronter une Bête mystérieuse.

Fais de moi la colère est le récit halluciné, à deux voix, de leur rencontre, et de la partie de pêche qu’ils vont mener — échos lointains de Moby Dick. Une partie de pêche où le désir, la convoitise,
le blanchiment, les génocides, sont autant de Léviathans. Mais où la joie, comme les larmes, pourra gonfler les ventres. 



Mon avis :

Roman osé ! La transmission racontée en envolées lyriques presques hallucinées, poétiques, métaphoriques qui rendent ce roman sui generis.

Ezéchiel arrive peu de temps après qu'Ismaëlle ait repris l'activité de pêche de son père. Lui, fils de tous les méfaits de la dictature, elle fille d'un pêcheur et d'une femme de lettres. Le lac pour ciment, chacun sa rive. La pêche va les unir dans leur quête de la Bête, du corps du père de la jeune fille disparu dans le lac.

Les thèmes abordés sont puissants : génocides, corruption, critique du capitalisme. J'ai eu beaucoup de mal à entrer dans le récit notamment à l'arrivée d'Ezéchiel dans son palais pillé... 

L'auteur propose un roman très particulier, analyse du comportement de l'homme : ses monstres cachés : le "greed" besoin de possession, envie, convoitise, pouvoir...  désir, rejet, peur, attirance. La Bête qu'est venue combattre Ezéchiel n'est-elle pas constituée des oripeaux de cette humanité-là ? Pourtant, sur le chemin, joies et larmes pourront "gonfler les ventres". On y retrouve des échos lointains à Moby Dick.

Ce roman évoque une quête d'un monde meilleur. L'enfance bousculée, le passage à l'âge adulte. Vincent Villeminot a travaillé la symbolique, la musique du texte, son dépouillement parfois, pour faire vibrer son lecteur.

Ce roman captive par sa singularité, son style, à lire à voix haute pour en saisir le sens, la musicalité, la sensualité parfois. Une histoire déroutante, un roman exigeant ! Aucune étiquette possible, tant l'histoire flotte entre rêve et réalité. 
Mon premier Objet Littéraire Non Classable depuis longtemps, pour l'apprécier pleinement, il faut sans doute lacher prise, mon côté cartésien n'a pas trouvé le chemin pour ce rendez-vous dans les eaux troublées du Léman.


Ma B.O. du roman

lindsey stirling : shadows



68 premières fois
Sélection Automne