BIENTOT LES VIVANTS
Autrice AMINA DAMERDJI
Aux Éditions Gallimard
« Aïcha courut à travers le village. Ses jambes tremblaient et son cœur battait si fort qu’il semblait vouloir sortir de sa poitrine. Elle connaissait le mot, dhabahine, les égorgeurs. Dhabahine, dhabahine ! »
Algérie, 1988. Après les premières émeutes sauvagement réprimées, le mouvement islamiste montre sa puissance grandissante. La jeune Selma vit dans la proche banlieue d’Alger. Elle n’a qu’une passion, l’équitation, qu’elle pratique dans un centre non loin du village de Sidi Youcef, où se déroulera en 1997 l’un des épisodes les plus atroces de la guerre civile. Elle consacre tout son temps libre au dressage d’un cheval que tout le monde craint, tandis que les déchirements de l’histoire traversent sa famille comme toute la société algérienne : certains sont farouchement opposés aux islamistes, d’autres penchent pour le FIS, d’autres encore profitent du chaos pour s’enrichir… C’est dans ce contexte tragique que Selma apprendra à grandir, trouvant dans la relation avec son cheval et avec la nature un antidote à la violence des hommes. Bien que le martyre du village de Sidi Youcef éclaire d’une lumière terrible les trajectoires des divers personnages, ce roman reste constamment chaleureux et humain.
Mon avis :
Plongée dans l'ombre et la lumière de l'Algérie
De 1988 à 1997, l'Algérie traverse une décennie de ténèbres, où la lutte pour le pouvoir oppose le Front Islamiste du Salut, le Groupe Islamique Armé et le régime en place. Dans ce chaos, la violence s'impose, implacable, tissant une toile de peur et d'incertitude parmi les populations.
Selma, fille de médecin, trouve refuge dans une passion : l'équitation. Mais ce n'est pas un simple loisir—sa fascination pour Sheïtane, un cheval maltraité et indomptable, me semble être une métaphore de sa propre lutte face à un monde qui vacille. Entre les déchirures familiales et l'attirance qu'elle éprouve pour Adel, le jeune palefrenier de Sidi Youcef, elle est au cœur des bouleversements de cette Algérie fracturée.
Amina Damerdji donne vie à ses personnages avec une finesse remarquable. Tous sont traversés par une part d'ombre, tiraillés entre la survie, la peur et leurs aspirations profondes. L'autrice tisse une atmosphère immersive où chaque scène oscille entre violence brute, éclats de lumière.
Le contraste est saisissant : dans la forêt, à l’abri du carnage, Selma et Maya assistent à une scène insoutenable. Le massacre d’une famille, l’horreur portée à son paroxysme. Puis, le silence—ce moment suspendu où Adel, le sabre encore ensanglanté, croise le regard de Selma sans un mot, avant de repartir. Ce regard, cet instant, cette hésitation... Une faille dans l’impitoyable mécanique de la guerre, une étincelle d’humanité dans le chaos.
Si la violence est omniprésente, elle n’éclipse pas tout. L’amour, la passion journalistique de Maya et équestre de Selma, la quête de sens, donnent à ces destins une profondeur bouleversante.
Bientôt les vivants n’est pas seulement un roman sur la guerre, une époque, c’est un texte incandescent où la violence du conflit se mêle aux déchirures intimes, à ces relations marquées par l’amour et la haine, la loyauté et la trahison. À travers des personnages pris dans des choix impossibles—Brahim, médecin contraint de sauver son frère Hisham malgré leur opposition politique ; Adel, tiraillé entre son attirance pour Selma et la distance infranchissable entre leurs mondes—Amina Damerdji capte la complexité de cette dualité avec une écriture à la fois crue et lumineuse.
Si vous souhaitez consulter plus d'avis :
https://68premieresfois.wordpress.com/2025/02/27/bientot-les-vivants-de-amina-damerdji/
ou : https://www.babelio.com/livres/Damerdji-Bientot-les-vivants/1545938