UNE CERTAINE IDEE DU PARADIS

 

Une certaine idée du paradis

Auteure Elizabeth Segard

Aux Editions Calmann-Levy_270 pages

Chacun a son idée du paradis dans la charmante bourgade de Mouy-sur-Loire en Touraine.

Madame le maire, d’abord, qui se bat pour faire de sa commune un territoire attractif. L’abbé Marcel, qui parvient à remplir son église, quitte à user d’astuces peu orthodoxes. Violette Laguille, vieille dame très discrète - pour faire oublier, peut-être, un passé trop flamboyant. Et aussi sa voisine, Nathalie, une citadine venue s’installer dans ce beau village pour y ouvrir un gîte alternatif et offrir des stages de pleine conscience.
Très vite cependant, la « Parisienne » tape sur les nerfs des habitants. Au point que quelqu'un finit par lui taper un bon coup sur la tête.

Mêlée malgré à elle à cette affaire qui met la gendarmerie sur les dents, Violette va devoir, à ses risques et périls, prendre l’enquête en main…


Mon avis :


Mouy-sur-Loire, petit village paisible, où le curé rassemble ses ouailles en mode échange marchandises ! Voilà où Nathalie a décidé de s'installer.

Une maison a retapé des questions plein la tête pour accueillir ses futurs hôtes "aux petits oignons" avec les produits locaux. L'ennui c'est que Nathalie pose des tas de questions "Est-ce que les croissants sont maison ?", Est-ce que le miel est lavande à huit cents kilomètres du premier champ de lavande. Cela en exaspère plus d'un, enfin... au moins UN, celui qui décide de l'occire.

Trop de questions tuent la question ou la questionneuse ! L'auteure nous raconte avec humour les déboires de Nathalie qui pourtant n'hésite pas à faire vivre les artisans du cru.

Mais qui peut avoir si sournoisement commis ce crime et ceux qui vont suivre ? C'est la question que se pose la discrète Violette Laguille...

Enfin discrète aujourd'hui, tout le monde n'emménage pas en pleine nuit dans un petit village bucolique et sans histoire de Touraine. Violette Laguille, fluette mamie, pas sans ressources face au destin.

La plume d'Elisabeth Segard nous égare au coeur des luttes de pouvoir, des besoins de s'affirmer des uns et des autres dans ce village administré de main de maître par une Mairesse au caractère affirmé.

Comme Agathe Raisin, Violette rêvait d'une retraite tranquille au milieu de ses souvenirs chéris mais lorsque les meurtres se multiplient, elle ne fuit pas devant l'adversité. Elle n'est pas si fragile qu'on croit, on arrête son tant attendu plombier, elle va prouver son innocence ou du moins tout faire pour y parvenir...

Un roman plein de surprises, d'humour, pour une enquête sérieuse qui vous capte dès le premier chapitre. Une jolie plume qui vous chatouille les neurones avec les odeurs du marché et vous questionne "à qui profite le crime" ?

J'espère que la sémillante Violette vivra des aventures aussi rocambolesques que dans son glorieux passé. Un joli moment de détente et de lecture.



Le chien de Schrödinger


Auteur : Martin Dumont

Aux Editions Delcourt Littérature - 160 Pages


Le monde de Jean, c’est Pierre, le fils qu’il a élevé seul. Depuis presque vingt ans, il maraude chaque nuit à bord de son taxi, pour ne pas perdre une miette de son fils. Il lui a aussi transmis son goût pour la plongée, ces moments magiques où ensemble ils descendent se fondre dans les nuances du monde, où la pression disparaît et le cœur s’efface. Mais depuis quelque temps, Pierre est fatigué. Trop fatigué. Il a beau passer son temps à le regarder, Jean n’a pas vu les signes avant-coureurs de la maladie. Alors de l’imagination, il va lui en falloir pour être à la hauteur, et inventer la vie que son fils n’aura pas le temps de vivre. Quand la vérité s’embrouille, il faut parfois choisir sa réalité. Un premier roman pudique et poignant, le roman de l’amour fou d’un père pour son fils.


Mon avis :


Jean n'a pas choisi son métier par hasard. Le jour où il a posé son fils Pierre sur le capot de son taxi, il a été le plus heureux des hommes.

Il allait pouvoir élever son fils. Le regarder grandir, l'emmener en Bretagne, lui apprendre à respirer les embruns, à se glisser sous la surface. Lui faire découvrir comment calmer ses battements de coeur, être en pleine conscience vivant avec lui, durant ces moments suspendus. Transmettre.

Pierre à 20 ans. Les moments qu'ils partagent ensemble sont une parenthèse hors du temps, hors l'absence de Lucile et des questions qu'elle a laissées en suspens.

Martin Dumont nous offre une histoire d'amour en fusion, dans une course au temps effrénée, pour ne pas perdre une miette de ce qu'il reste à vivre, à partager. Un mensonge pour un sourire, un moment de bonheur pour être heureux encore, il choisit Jean. L'hôpital ne soigne plus, il accompagne.

La théorie de Schrödinger qu'elle s'applique au chat ou au chien soulève une question : peut-on choisir le moins de malheur, qui ne soustrait pourtant pas au chagrin, un coup de pouce pour vivre mieux la tragédie. La poésie de l'auteur, sa description si juste de l'amour nu, absolu, déchirant d'émotions d'un père pour son fils, qui ne peut que regarder la maladie manger inexorablement la vie du trop jeune Pierre. 

Ce roman est bouleversant tout simplement.






BATTLING LE TENEBREUX

BATTLING LE TENEBREUX
Auteur : Alexandre Vialatte
Aux Editions Gallimard _ 188 pages

"Battling, Battling, nous n'irons plus à Mexico nous laisser prendre à leurs promesses. Nous ne prêterons plus l'orielle aux conseils du ciel de cinq heures, ni aux voix du vent dans le préau. Nous n'agiterons plus sur les murs du parloir l'ombre emphatique de nos petites pélerines. Tu n'invectiveras plsu jamais Victor Hugo dans la cour qui sent le tilleul, à l'heure où les chats irrités font le gros dos sur la pleine lune"



Mon avis :


Alexandre Vialatte a écrit ce roman en 1928. Pourtant, l'exaltation et la révolte adolescente des trois jeunes amis restent très actuelles. Ce roman ne se lit pourtant pas si facilement, le style fait de phrases complexes, le vocabulaire recherché de l'auteur, requiert toute votre attention.

L'adolescence n'est elle pas la période où l'on est en conflit avec ses émotions, où l'on se construit en révolte contre sa famille, la société ? L'auteur fait transpirer ce mal-être entre les amis de toujours. Que faire contre l'état amoureux ? Doit-on le combattre au nom de l'amitié ? Fernand Larache et Manuel Feracci ont deux caractères bien différents mais le même élan pour Erna, l'Allemande.

Quelle est cette femme, exotique, artiste qui insuffle ce sentiment à deux jeunes gens qui s'enflamme pour elle ?

Une histoire d'un autre temps, c'est certain, critique à peine voilée d'une micro-société provinciale en filigrane de la vie de quelques jeunes gens. 
Classique car intemporelle, seuls les mots indiquent que l'époque est éloignée d'un peu plus de 90 ans. La vision d'Alexandre Vialatte de la jeunesse est plutôt mélancolique, triste. 

Il aurait pu s'agir de trois adolescents unis par une franche camaraderie, de celle que l'on conserve avec des sourires émus toute une vie, au sortir d'une guerre moderne aujourd'hui, plutôt qu'à cet enchainement d'évènements qui conduisent à une issue tragique..


Je ne me suis pas attachée aux personnages, mais plutôt à la découverte de la vision de l'auteur de son époque.




                                                            Participante aux "68 Premières fois"




ANTONIA : JOURNAL 1965-1966

ANTONIA : JOURNAL 1965-1966
Auteure ; Gabriella Zalapi
Aux éditions ZOE

Issue de grandes dynasties viennoises et anglaises au cosmopolitisme vertigineux, Antonia est mariée à un nanti de Palerme. Soumise et contrainte à l'oisiveté, mais lucide, elle rend compte dans son journal de ses journées-lignes et du profond malaise qu'elle éprouve. Suite au décès de sa grand-mère, Antonia reçoit quantité de boîtes contenants lettres, carnets et photographies. 

En dépouillant ces archives, elle reconstruit le puzzle du passé familial et de son identité intime, puisant dans cette quête, deux ans durant, la force nécessaire pour échapper à sa condition.Roman d'une émancipation féminine dans les années 1960, Antonia est rythmé de photographies tirées des archives familiales de Gabriella Zalapì.

Comme chez Sebald, elles amplifient la puissante capacité d'évocation du texte.Gabriella Zalapì est artiste plasticienne, d'origines anglaise, italienne et suisse. Née à Milan, elle a également vécu à Genève et New York. Aujourd'hui elle habite et travaille à Paris. Antonia est son premier roman.


Mon avis :


Années 60, Antonia est mariée à Franco. Bourgeoise oisive, elle laisse la nurse la priver de son fils Arturo. La honte de ne pas se battre pour honorer une toute petite promesse : je t'emmènerai à l'école la paralyse, tout la plonge dans une atmosphère ouatée, sans saveur... Son mari lui reproche avec condescendance d'être trop gentille avec le personnel.

Elle s'ennuie. Se laisse porter par une langueur angoissée, son mariage n'a plus de sens. Sa grand-mère décède, son mari s'occupe de la succession et lui fait livrer des cartons remplis de lettres, photos et carnets.

Elle apprend ce que les femmes de sa famille ont vécu. Les secrets. Alors jour après jour, Antonia s'extrait de sa torpeur en ouvrant frénétiquement les cartons. Elle pose les mots dans ce journal, raconte avec justesse la lente sortie de l'abattement pour reprendre sa vie en mains.

"On serait tenté de dire "ce ne sont que des mots", mais au moment important de l'histoire, les mots sont des actes" Clément Attlee.

C'est ainsi que les mots qu'elle lit, la porte, lui insufflent le courage de se battre pour changer sa condition de femme malgré la violence de la société.

Difficile, tant elle est détachée, d'être touchée par cette femme qui pourtant est touchante, enfermée dans la condition que son époque a voulue pour elle. Une femme tout simplement bridée par les conventions qui choisit la Liberté,
quelle que soit l'époque, est toujours une héroïne dont il faut connaître l'histoire.



Participante aux "68 Premières fois"