L'ANNEE DU GEL Agathe Portail

L'ANNEE DU GEL
Agathe Portail
Aux Editions Calmann Levy
Collection "Territoires"

Le crime s’invite dans un château du Bordelais.
Été 2017. Après un épisode de gel qui a dévasté ses vignes, Bernard Mazet se range à l’idée de sa femme d’ouvrir des chambres d’hôtes pour sauver la propriété familiale de Haut Méac. 

Le château affiche complet avec la venue d’un groupe de trentenaires pour une semaine. La fantasque Olivia, Vincent, le célibataire volage, Clara, si discrète, et leurs deux couples d’amis semblent heureux de se retrouver. 
Mais dans la chaleur écrasante, les esprits s’échauffent et les drames personnels refont surface.
À l’aube du quatrième jour, un cadavre est découvert dans la chambre froide du château...



Mon avis :

Le décor : un domaine viticole "Haut Méac" en difficulté financière. 
Les protagonistes : Un groupe d'amis peu commun, liés entre eux par le couple Pierre et Juliette. La famille Mazet, Bernard le viticulteur et sa femme Alexane, résolue à faire bouillir la marmite avec la chambre d'hôtes crée après l'année de grêle puis de gel. Les parents de Bernard Mazet, retirés dans le pavillon d'en bas pour laisser le champ libre à leur fils.

Une poignée d'amis venus profiter d'une semaine de repos dans un cadre idyllique. Jusqu'au matin où le boulanger du village voisin découvre le corps de l'une d'entre eux dans la chambre froide. 150 pages, pour découvrir ce meurtre, qui permettent de prendre la mesure des personnages, de laisser filtrer la psychologie de chacun, de laisser monter la tension.

L'auteure distille alors savamment les contours des personnalités de chacun des personnages pour mieux instiller le doute chez le lecteur. 

Une ambiance à la Barnaby avec l'enquêteur Géraud Dambérailh aux méthodes un peu surannées. Où l'on découvre que ce lieu de villégiature n'est pas le fruit du hasard. Que les conflits d'intérêts ne sont jamais très loin. 
Mais qui a tué ? À qui profite le crime ? 

Le polar psychologique prend forme et corps dans ce domaine viticole bordelais sous la plume subtile d'Agathe Portail. 

L'auteure nous balade lentement dans cet univers clos, au milieu de ses personnages liés par leur passé d'étudiant pour les uns par des liens familiaux pour les autres. Pierre et Juliette très amoureux, Corentin et Léonie très torturés, Clara la discrète, Olivia, Vincent l'adulescent, les Mazet, leur peur de l'échec, leur attachement au patrimoine viticole familial.

L'auteure décrit avec finesse, dans un suspense bien présent, la noirceur des uns ; la naïveté de certains, la cruauté d'autres, la beauté des paysages. J'ai beaucoup aimé le couple d'enquêteurs Dambérailh-Amblevert qui pourrait constituer des personnages récurrents. 
Je remercie les éditions Calmann-Levy pour cette belle découverte.

Une collection "Territoires" prometteuse à la lecture de ce premier roman captivant qui vous embarque jusqu'à l'épilogue totalement inattendu. 



L'IMPRUDENCE de Loo Hui Phang

L'IMPRUDENCE
de Loo Hui Phang
Aux Editions Acte Sud - 160 Pages

C'est une instinctive : elle observe, elle sent, elle saisit, elle invite, elle donne, elle jouit. Photographe, elle vit intensément, dans l'urgence de ses projets, de ses rêves, de ses désirs. Lorsque survient le décès de sa grand-mère au Laos, quitté à l'âge d'un an, elle prend l'avion pour Savannakhet, comme sa mère et son frère. 

Là-bas, elle est étrangère. Pas tant en apparence qu'intimement : grandir en France lui a permis une indépendance, une liberté qui auraient été inconcevables pour une Vietnamienne du Laos. Son frère aîné brisé par l'exil peut-il comprendre cela ? 
Dans la maison natale, les objets ont une mémoire, le grand-père libère ses souvenirs, le récit familial se dévoile peu à peu. Plongée dans une histoire qui n'est pas la sienne, qui pourtant lui appartient, la jeune femme réapprend ce qu'elle est, comprend d'où elle vient et les différentes ardeurs qui la travaillent, qui l'animent. 

Ce premier roman sensuel et audacieux, qui allie la délicatesse du style à l'acuité du regard, désigne la transgression des prophéties familiales comme une nécessité vitale et révèle le corps comme seul réel territoire de liberté.


Mon avis :

D'abord, il y a la relation Frère Soeur, distendue par l'incompréhension de la cadette pour son aîné. Ils n'ont pas vécu la rupture avec le Laos au même moment de leur vie, de la même manière. Pour le frère à 11 ans, c'est un déchirement.

Pour la jeune femme, difficile de comprendre ce frère qui lui parle de racines, de son pays d'origine, de reniement. 

L'auteure nous offre un voyage initiatique bouleversant. Alors que pour se sentir vivre elle a besoin de relations charnelles, son frère s'enferme dans les brumes de drogues qui ne le libèrent pas de sa dépression. La quête d'identité et de liberté est abordée sans tabous.

Le voyage pour Savannakhet va permettre à la jeune photographe de dessiner le contour d'une liberté nouvelle. Où qu'elle aille, elle sera libre, elle-même, plus besoin d'accrocher des racines à une terre. 
Cette relation nouvelle avec son grand-père, sa compréhension de sa mère au Laos, a mis du sens dans sa quête incessante de se sentir vivante, vibrante.

Le sujet de la deuxième génération est traité avec délicatesse. Ces descendants contraints de s'implanter en regardant leurs parents exister dans de nouvelles normes, de nouvelles existences à construire, sont touchants. 

Un roman court et percutant qui trace son sillon dans la mémoire et ne laisse pas indifférent.



Sélection Automne 2019



CEUX QUE JE SUIS

CEUX QUE JE SUIS 
Auteur : Olivier Dorchamps
Aux éditions finitude - 252 pages

"Le Maroc, c’est un pays dont j’ai hérité un prénom que je passe ma vie à épeler et un bronzage permanent qui supporte mal l’hiver à Paris, surtout quand il s’agissait de trouver un petit boulot pour payer mes études."

Marwan et ses deux frères ne comprennent pas. Mais ­pourquoi leur père, garagiste à Clichy, souhaitait-il être enterré à Casablanca ? Comme si le chagrin ne suffisait pas. Pourquoi leur imposer ça. C’est Marwan qui ira. C’est lui qui accompagnera le cercueil dans l’avion, tandis que le reste de la famille ­arrivera par la route. Et c’est à lui que sa grand-mère, dernier lien avec ce pays qu’il connaît mal, racontera toute l’histoire. L’incroyable histoire.


Mon avis :

Olivier Dorchamps nous offre une histoire touchante. Comment ne pas s'émouvoir de l'histoire de Marwan, sa famille. À la lecture de ce roman on touche du doigt, grâce à l'élégance de l'écriture de l'auteur, la difficulté d'être né quelque part ailleurs que sur la terre de ses aïeux.

La difficulté de se sentir chez soi, compris, aimé pour qui on est. Celle de comprendre des parents déracinés, nostalgiques d'une terre que certains ne reverront jamais.
Même si Marwan ne comprend pas le souhait de son père d'être inhumé au Maroc, qu'il a quitté des décennies plus tôt, par devoir et respect, il va se conformer aux dernières volontés de son père.

Marwan découvre d'où il vient vraiment à la mort de son père. Cette découverte va le bouleverser, lui permettre de comprendre ce père qu'il croyait connaître, avec le récit de son ami de toujours. Les secrets du passé lui content ce qu'il ne lui a jamais dit. Un voyage initiatique pour savoir quelle sera sa place désormais. 

Un roman tendre et rude à la fois illustrée par une plume sensible et juste. 



Sélection Automne 2019