LE SANG DES MIRABELLES - Camille De Peretti

LE SANG DES MIRABELLES
Auteure : Camille de Peretti
Aux Editions Calmann-Levy - 342 pages

«  Depuis le début de la cérémonie, la tête légèrement penchée en avant, elle avait gardé les paupières baissées comme l’aurait fait une fiancée soumise, mais son corps criait la roideur et l’orgueil. Malgré son jeune âge, il n’y avait en elle aucune douceur, aucune fragilité, aucune enfance. La parfaite beauté de la jeune fille, sa peau d’une pâleur extrême, ses petites mains jointes en prière, la finesse pointue de ses articulations que l’on devinait sous le lourd manteau vert doublé de fourrure, tout cela était tranchant comme la lame d’une épée.  »


Au cœur du Moyen Âge, le destin de deux sœurs en quête d’émancipation à une époque vouant les femmes au silence. Un magnifique voyage dans le temps, qui dépoussière le genre du roman historique.


Mon Avis :


Camille de Peretti nous conte un monde où les jeunes filles n'ont nul besoin de savoir lire autre chose qu'un psautier, si elles sont chanceuses. 


C'est sans compter sur des rebelles comme 
Éléonore et Adelaïde : La Salamandre et l'Abeille. Les responsabilités sont exclues pour les femmes de l'époque -cela perdurera- considérées comme trop fragiles et changeantes.

Pourtant, Adélaïde, la cadette, est rayonnante de candeur, passionnée par les sciences à une époque où c'est considérée comme sorcellerie pour les femmes. En catimini, elle étudiera les remèdes avec l'apothicaire juif. 
 À ses risques et périls.

Éléonore  dévolue au rôle d'épouse, vouée à donner un héritier mâle, de préférence, pour assurer la lignée de son seigneur et maitre.

De périls, d'intrigues de palais, il sera question comme de petites rebellions dans la servantaille. Avec humour, on apprend que le maître queux arrange les repas de sa maîtresse -l'Araignée- pour que sa tripaille la taraude sans relâche, la punissant de sa méchanceté avec la belle chambrière Manon, qui lui fait battre le coeur.


En choral du destin d'
Éléonore et Adélaïde, on découvre l'amitié fraternelle qui lie Guillaume -l'Ours- qui deviendra l'époux d'Éléonore avec Tancrède -Le Dragon- qui s'éprendra follement de l'épouse de son quasi-frère.

L'auteure nous offre une fresque historique romanesque captivante, entre guerres de pouvoirs des seigneurs, amours romantiques, comme les contaient les ménestrels, la place faites aux femmes dans cette société brutale. Un vocabulaire qui fait sourire parfois à la Kamelott. Une plongée au coeur de cette vie médiévale empreinte de religiosité, de croyances et de sciences en pleines évolutions.

On se prend à admirer la force de ces toutes jeunes femmes, rebelles à leur destin. La tension du récit vous tiendra jusqu'à l'épilogue.  À n'en pas douter, comme moi, vous voudrez savoir comment elles se sortent des luttes de pouvoir fomentées autour d'elles ?

C'est une réussite que d'avoir jouxté des noms d'animaux comme des totems à ceux de baptême des nombreux personnages. L'auteure permet ainsi de s'imaginer les qualités de chacun d'entre eux, de se souvenir de tous.

Je lis peu de romans historiques, celui-ci m'a tenu en haleine jusqu'à son dénouement ! Je remercie les Editions Calmnan-Levy et Camille de Peretti pour cet excellent moment de lecture.

Ma B.O du roman :

Lord of the Rings Medley - Lindsey Stirling



TETE DE TAMBOUR - SOL ELIAS

Tête de Tambour
Auteur : SOL ELIAS
Aux Editions RIVAGES - 196 pages

Ce premier roman, inspiré de faits réels, plonge le lecteur dans l'histoire d'une vengeance, celle d'un fils, atteint de schizophrénie, prêt à tout pour détruire sa famille. Un redoutable drame en huis clos. Que fait-on lorsqu'on a hérité d'un « paquet de génétique avariée », d'une tête pourrie au « sous-gène » de la psychose ? Faut-il mettre ses parents au tribunal ? Faut-il se maudire ou accepter sans mot dire la condamnation sociale et générale pour « péché de différence » ? Diagnostiqué schizophrène, Manuel s'y refuse et promet d'avoir sa revanche : il sèmera tant qu'il en aura la force la discorde et transformera son foyer et celui des autres en un « âtre de guerre ».


Mon Avis :

Comment aborder un tel roman ? Sol Elias relate une histoire impressionnante par la justesse de l'écriture, la construction efficace, des chapitres courts qui donnent de la tension, une angoisse sourde face à la description du quotidien du malade : la schizophrénie.

Anaël, gamin perturbé par trop d'émotions d'abord, un environnement familial étouffant avec une mère-louve ultra-protectrice et un père laborieux, pétri de principes, exclu de cette relation trop fusionnelle à son goût. le récit nous est relaté de l'enfance à sa mort prématurée.

Une adolescence rendue plus difficile encore par ses relations compliquées à la mère. La vie à la marge, Anaël qui devient Manuel, entre lucidités et étrangetés des situations perçues au travers de la maladie. Tout est décrit de manière que le lecteur comprenne mieux les effets de la maladie puis d'une psychiatrie abrutissante sur le malade. 

On sent la frustration de Manuel face à la maladie, son souhait de vivre une vie de "normale" : une femme, un appartement, un chien... son impuissance à canaliser la violence de ses réactions, son enfermement dans la maladie, son isolement, sa marginalité, ses petits suicides. Une vie entre pensées cohérentes et incohérentes, destructrice pour lui, ses proches.

Jusqu'à transférer à Soledad, sa nièce, son questionnement, ses petits papiers, héritage à décrypter. Il y est question d'hérédité génétique, de celle de l'histoire à porter. De poésie et de violence qui s'apaise auprès de cette petite-nièce qui le trouve excentrique, différent, avec lequel elle rit beaucoup. 
Sol ne juge pas, "elle n'a pas encore le regard lavé" !

Il est également question du poids à porter pour les familles, de la culpabilité de ceux dits "normaux" qui vivent dans l'ombre des malades comme Ana-Sol, la petite soeur.

Ce roman est captivant par le biais choisi pour parler d'une maladie terrible avec humanité, une intensité qui vous empêche de décrocher d'une histoire dérangeante. La différence fait peur, si peu qu'elle soit habitée de sentiments violents, irrépressibles. L'écriture de l'auteure est puissante, aimante pour le personnage, enveloppante pour le lecteur, accompagne Manuel jusqu'à l'épilogue de son histoire tragique. Un premier roman perturbant, fascinant tout à la fois, pour désapprendre à juger peut-être...

Ce roman-là m'a bousculé !


Ma B.O. du roman :

Van Morrison - Days Like This




Sélection 2019




MA CHERIE - LAURENCE PEYRIN

MA CHERIE
Auteure : Laurence PEYRIN
Aux Editions Calmann-Levy - 318 pages

Née dans un village perdu du sud des États-Unis, Gloria était si jolie qu’elle est devenue Miss Floride 1952, et la maîtresse officielle du plus célèbre agent immobilier de Coral Gables, le quartier chic de Miami.
Dans les belles villas et les cocktails, on l’appelle « Ma Chérie ». 

Mais un matin, son amant est arrêté pour escroquerie. Le monde factice de Gloria s’écroule : rien ne lui appartient, ni la maison, ni les bijoux, ni l’amitié de ces gens qui s’amusaient avec elle hier encore.

Munie d’une valise et de quelques dollars, elle se résout à rentrer chez ses parents. Dans le car qui l’emmène, il ne reste qu’une place, à côté d’elle. Un homme lui demande la permission de s’y asseoir. Gloria accepte.


Un homme noir à côté d’une femme blanche, dans la Floride conservatrice de 1963…Sans le savoir, Gloria vient de prendre sa première vraie décision et fait ainsi un pas crucial sur le chemin chaotique qui donnera un jour un sens à sa nouvelle vie…



Mon avis

Chooga Pines a vu naître Gloria, Mercy, Hope Merriman "Gloire, Pitié, Espoir". Le papa "avait eu la main lourde". Pas de chance, affublée d'un strabisme, de santé fragile dès la naissance, la gamine fût gratifiée d'un surnom vachard par les fillettes de l'école : Soeur Bigleuse !

De vilain petit canard, la jeune Gloria va devenir cygne : Miss Floride quelle revanche sur ses petites tortionnaires. Il n'y avait guère qu'avec Ben qu'elle était bien, à parcourir la mangrove, se crotter à la pêche aux écrevisses bleues. Soeur Bigleuse intrépide déjà, montait aux arbres plus vite que les garçons !

Des bleus, Gloria en a assez pris enfant ! alors lorsque G.Grayson, magnat immobilier du Miami huppé, l'enveloppe d'un Ma Chérie sucré, dans une vie de sultane privilégiée, elle se laisse porter. 

Réveil brutal pour Ma Chérie. Fauchée, amies disparues, bébé à venir vont la ramener à la mangrove, honteuse de devoir croiser le regard d'un père bucheron qui la considère comme la "poule" d'un homme marié. Gloria s'est perdue ! 

L'auteure nous permet de la voir grandir, prendre enfin sa vie en mains sans la confier à un homme, qu'il soit photographe ou escroc. Miss Bigleuse enfouie pendant des années va remettre Gloria sur les rails. Une rencontre va lui faire prendre conscience de la brutalité du quotidien de son époque -ségrégation, après guerre de Corée- des difficultés de vivre de ceux qui l'entourent désormais. 

Vous vous dites encore une histoire romanesque, ce serait extrêmement réducteur ! Les héroïnes de Laurence Peyrin, Gloria comme Maggie, sont ancrées dans leurs sociétés, montrent que les femmes les ont fait évoluer. Des suffragettes comme Émily Davidson à Rosa Parks, toutes ont ouvert un monde des possibles. Le monde a évolué grâce à elles.

Ma Chérie apprend la difficulté de s'affranchir d'un avenir écrit, prend conscience de la réprobation de la bien-pensance, face à la mixité raciale comme pour Jack et Rose Merriman obligés de s'exiler dans un village reculé pour vivre leur amour. Ils auraient dû nommer leur fille Victoire car pour une descendante de Séminole épouser un Américain blanc était mal toléré. 

Gloria ne se laissera pas imposer ses choix, ils s'imposeront à elle comme des évidences.

Laurence Peyrin a un style très cinématographique, je n'imagine pas qu'elle ne soit pas adaptée un jour.
Elle est une conteuse particulièrement douée, faire naître des images, des émotions, donner corps à des personnages fictifs de telle sorte qu'ils ne vous quittent plus, c'est chaque fois sa réussite. L'histoire contée est l'occasion d'entrer dans une époque, choisie pour sa symbolique, portée par la destinée de femmes dont l'Histoire a fait des "héroïnes" devenues inoubliables à l'image d'Erin Brockovich-Ellis ou Rosa Parks. 

Les romans de Laurence Peyrin, celui-ci ne fait pas exception, n'a pas le temps d'entrer dans ma "Pile à lire", c'est un rendez-vous immédiat, attendu, chaque fois réussi. Un coup de coeur !


Ma B.O du Roman : (aimablement fournie par l'auteure - vous comprendrez en lisant le roman...)
Ben E. King - STAND BY ME




ECORCES VIVES - ALEXANDRE LENOT

ECORCES VIVES 
Auteur : Alexandre LENOT 
Aux EDITIONS ACTES SUD -Actes Noir
208 Pages

C’est une région de montagnes et de forêts, dans un massif qu’on dit Central mais que les routes nationales semblent éviter. Un homme venu de loin incendie la ferme dans laquelle il espérait un jour voir jouer ses enfants, puis il disparaît dans les bois. La rumeur trouble bientôt l’hiver : un rôdeur hante les lieux et mettrait en péril l’ordre ancien du pays. Les gens du coin passent de la circonspection à la franche hostilité, à l’exception d’une jeune femme nouvellement arrivée, qui le recueille. Mais personne n’est le bienvenu s’il n’est pas né ici.
Écorces vives est construit sur une tension souterraine, un entrelacs de préjugés définitifs et de rancœurs séculaires. De ce roman noir – qui est aussi fable sociale, western rural, hommage aux âmes mélancoliques et révoltées – sourd une menace : il faut se méfier de la terre qui dort…



Mon avis :

Un roman noir illuminé de la présence des femmes, d'un verbe exigeant. Si vous cherchez un moment d'inscouciance, passez votre chemin. Alexandre Lenot vous brosse à rebrousse-poils un récit où les femmes sont belles, fortes presque à leur insu, évoquent la rudesse d'un monde reculé avec tendresse pour ces hommes taiseux, brutes de s'être frottés à des hivers rugueux.

La terre, la guerre, l'héritage, les hommes. les femmes solides, douces, maternelles, sauvages pourtant, aident à vivre dans ce monde hostile. Lison, Louise, Céline fragiles et robustes à la fois ; prêtent à se battre s'il le faut.

Le noir du monde se dispute à la poésie du style anachronique dans cet environnement montagnard, rebelle, où les arbres prennent soin de leurs racines, comme les hommes s'y accrochent rudement.  Une vibrante ode au territoire. A la magie de la nature, de la rencontre Louise et Eli, écorcés par la vie, mais vibrants encore, vivants doucement.

Les nombreux destins croisés additionnés à l'écriture sophistiquée rendent la lecture absorbante. Pas de distractions possibles dans la description des lieux, liens, personnages, tout est tendu jusqu'au dénouement.

Une plume lente, délicate et rude, qui vous visse résolument au récit mordant de la vie des habitants accrochés à leur territoire déserté, jusqu'à l'épilogue.

Un premier roman de la sélection 68 Premières Fois qui ne laisse ni indifférent, ni indemne. Hâte de découvrir le second opus.


Ma B.O. du roman :

Un amico ("La poursuite implacable") Ennio Morricone


Sélection 2019