lundi 20 août 2018

LES HEURES ROUGES de LENI ZUMAS

LES HEURES ROUGES de LENI ZUMAS
Aux Editions Presses de la Cité - 408 Pages

États-Unis, demain. Avortement interdit, adoption et PMA pour les femmes seules sur le point de l’être aussi. Non loin de Salem, Oregon, dans un petit village de pêcheurs, cinq femmes voient leur destin se lier à l’aube de cette nouvelle ère. 

Ro, professeure célibataire de quarante-deux ans, tente de concevoir un enfant et d’écrire la biographie d’Eivør, exploratrice islandaise du xixe. 

Des enfants, Susan en a, mais elle est lasse de sa vie de mère au foyer – de son renoncement à une carrière d’avocate, des jours qui passent et se ressemblent. 

Mattie, la meilleure élève de Ro, n’a pas peur de l’avenir : elle sera scientifique. Par curiosité, elle se laisse déshabiller à l’arrière d’une voiture... Et Gin. 

Gin la guérisseuse, Gin au passé meurtri, Gin la marginale à laquelle les hommes font un procès en sorcellerie parce qu’elle a voulu aider les femmes.


MON AVIS :

Leni Zumas nous offre une dystopie pas si éloignée de la réalité dans certaines parties du monde. L'Amérique puritaine pourrait en effet demain adopter cette loi UPUM "Chaque enfant a besoin d'un père et d'une mère ».

Newville, Orégon, quatre femmes : Susan, l'Epouse, femme au foyer, transparente tant pour ses enfants que pour son mari a renoncé à sa carrière pour sa famille.

Roberta, la Biographe, Professeure célibataire de 42 ans. L'horloge biologique tourne, elle veut un enfant. 

Mattie, la Fille, pas tout à fait 15 ans, meilleure élève du cours de Ro, enceinte dès la première fois avec son amoureux Ephraïm... 

Gin, la Guérrisseuse, 32 ans, "marginale" vit près de Salem, de là à être estampillée "sorcière" comme au XVIIème siècle, après tout il y eut un précédent...

Et puis, L'exploratrice Eivor Minervudottir, fil rouge, lien entre les chapitres de cet étrange roman, dont l'histoire est racontée par la biographe.

5 femmes, 5 destins contrecarrés par une société patriarcale contre laquelle les femmes n'auront de cesse de devoir se battre pour exister en tant que personnes adultes responsables de leur vie, de celles qu'elles voudront donner au monde.

Les femmes veulent avoir le contrôle de leur corps, les hommes veulent le pouvoir de tout contrôler... depuis toujours.


Le roman de Leni Zumas soulève des questions, à chacun d'apporter sa réponse au travers de la condition de Roberta, Mattie, Susan, Gin et Eivor l'Islandaise.

Le lien tissé entre toutes ces femmes, leurs doutes, peurs, leurs tous petits espoirs souvent étouffés dans l'oeuf par cette loi que certaines ont prise pour une "comédie politique" mais qui va être bel et bien voté par le Congrès.

Au nom d'une loi soi-disant protectrice de la famille, on oblige les femmes à garder un embryon non désiré. On ôte l'espoir d'être mère aux femmes célibataires, la stérilité n'ouvre pas systématiquement droit a être assisté médicalement pour enfanter. L'avortement est définitivement impossible sous peine d'être poursuivi pour homicide. Aucun droit à l'erreur dans les laboratoires, là encore la poursuite pour homicide involontaire est une épée de Damoclès. Mais il y aura plus d'enfants à l'adoption, c'est le pari fait par les politiques... enfin pas pour les célibataires puisque "UPUM" dit ce qui est bon pour l'enfant.

La couleur de la couverture et son graphisme élégant, de ce rouge un peu agressif, comme la société décrite, disent déjà de la violence faite aux femmes à travers ces cinq destinées mais également à travers le temps. "les heures rouges" est un roman fictionnel qui alerte sur les dérives possibles d'une société oppressante qui remet en question le droit des femmes à être des femmes.

Les Simone Vieil, Benoïte Groult, ces pionnières de la liberté de la femme, accompagnent la voix de Leni Zumas pour rappeler que rien n'est jamais acquis. Long est le chemin, toujours semé d'embûches, de larmes, trop rarement d'espoirs et de victoires, comme en Irlande ou un référendum ouvre la voie aujourd'hui la voie à une loi qui rendra peut-être aux femmes la pleine possession de leur corps.

Le roman de Leni Zumas est poignant, réaliste. Il appelle à la vigilance, dit les frustrations des femmes au travers ces personnages, toujours touchantes, emblématiques d'une souffrance bien réelle. L'auteure d'une écriture directe, limpide, sensible, joue de l'ironie des situations, pose son décor dans une Amérique "Trumpienne" aux dérives moralistes sous-jacentes qui donne froid dans le dos.

Je remercie les Editions Presses de la cité pour cette plongée dans un univers pas si avant-gardiste, la découverte de la plume parfois lyrique de Leni Zumas et de sa belle foi en l'humanité pour traiter un sujet délicat.


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