BANC DE BRUME
Autrice Sophie Berger
Aux Éditions Gallimard
« Je suis restée l’enfant qui n’ose pas demander qu’on lui explique. Celle qui se tait. Celle qui entend le coup de téléphone tardif, qui sonde le ton de la réponse de sa mère, celle qui cherche des indices dans la voix des adultes, dans le brouhaha ambiant, dans le bruit du monde. »
D’Olivier et Yvonne, jeunes mariés morts dans un accident d’avion en 1976, leur nièce Alice n’a jamais rien su. La sidération a confisqué l’histoire. Devenue réalisatrice son, elle se lance dans une recherche qui la mène à recomposer leur destin. Alice scrute les photos, fouille les archives et articles de presse. De la bande-son rock’n’roll aux récits des témoins retrouvés émerge peu à peu l’écho d’une jeunesse des années 70. La preneuse de son explore le silence qui a entouré le drame familial, pour en découvrir les résonances dans le présent, au-delà de la seule sphère intime.
Délicat et juste, ce premier roman de Sophie Berger est une réflexion sur le deuil, et sur la nature du silence qui l’accompagne parfois d’une génération à l’autre.
Mon avis :
Sophie Berger nous invite à éprouver le vide laissé chez Alice par ces jeunes mariés, disparus trop tôt et relégués au silence. Il lui aura fallu se retrouver dans un grenier, découvrir une photo sépia pour enclencher ce besoin impérieux de les sortir du silence.
Alice, preneuse de son, est à l’écoute des silences. Elle commence à investiguer. À défaut d’interroger sa propre famille, encore repliée dans un deuil muet, elle cherche ailleurs : dans les coupures de journaux, les dossiers de la gendarmerie, les voix de ceux qui étaient là. Peu à peu, le flou autour d’Olivier et Yvonne se dissipe. Ils ne sont plus seulement ces figures disparues trop tôt, mais des êtres incarnés, saisis dans leur élan, leurs fragilités, leur intensité.
Dans ce roman, il y a la brume du matin, celle du titre, mais aussi celle des souvenirs effacés, des liens interrompus. La narration, pudique, ne force jamais l’émotion. Elle laisse la place au ressenti, à l’écho discret de ce qui a été perdu, à l'enquête quasi policière d'une jeune femme qui a décidé que le silence devait être rompu pour raconter l'histoire de ce qui aurait pu être si le silence et la brume n'avait pas étouffé ce qui avait fait l'existence d'Olivier et Yvonne avant le drame.
Avec justesse et retenue, Sophie Berger explore les silences de la famille, ceux qu’on respecte sans toujours les comprendre. Elle signe un premier roman sensible, où la quête d’Alice devient celle de tous ceux qui ont grandi au bord d’un vide, sans jamais avoir pu y poser de mots.
En refermant ce livre, il reste une sensation flottante, comme une brume qui mettrait les cœurs à nu. Celle d’avoir approché, avec pudeur, ce qui continue à vivre même dans l’absence.
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