Auteure : Anaïs Llobet
Editions Humensis - 211 pages
Dans le pays où est né Oumar, il n'existe pas de mot pour dire ce qu'il est, seulement des périphrases : stigal basakh vol stag, un « homme couleur de ciel ».
Réfugié à La Haye, le jeune Tchétchène se fait appeler Adam, passe son baccalauréat, boit des vodka-orange et ose embrasser des garçons dans l'obscurité des clubs. Mais il ne vit sa liberté que prudemment et dissimule sa nouvelle vie à son jeune frère Kirem, à la colère muette.
Par une journée de juin, Oumar est soudain mêlé à l'impensable, au pire, qui advient dans son ancien lycée. La police est formelle : le terrible attentat a été commis par un lycéen tchétchène.
Des hommes couleur de ciel est l'histoire de deux frères en exil qui ont voulu reconstruire leur vie en Europe. C'est l'histoire de leurs failles et de leurs cicatrices. Une histoire d'intégration et de désintégration.
Mon avis :
Conter le droit à la différence de manière romanesque est une gageure difficile. L'auteure relève ce défi de décrire l'amour et son revers le plus cruel : la haine. De soi, de l'autre. Deux frères, deux visions d'un monde pour l'un où tout est possible, pour l'autre sans issue.
"Est-ce que les gens naissent égaux en droits
À l'endroit où ils naissent"
La force du récit est de décrire la culpabilité de ceux qui n'ont rien vu à force de se nier eux-mêmes, loin d'imaginer que parfois l'intégration est impossible tant ils se battent eux-mêmes pour y parvenir.
Conter l'indicible de ce qui a été laissé derrière soi parfois dans l'espoir d'un avenir meilleur, d'un monde meilleur. L'humain reste ce qu'il est : complexe face à ses contradictions, capable d'empathie, de jugements à l'emporte-pièces. Du meilleur comme du pire.
Le texte est court, dense, fort en émotions. Il interroge sur l'identité, les origines, l'espoir et sa perte, l'amour, sa force, son impuissance à endiguer la rage, la peur, la frustration de ceux qui ne trouvent pas leur place.
C'est un roman touchant, troublant. Combien de Oumar se rêvant Adam ? Simplement jeunes, heureux, rêvant d'insouciance, sont ramenés à l'entrave que peut-être parfois la culture. Ces jeunes hommes, transfuges d'une culture où il est question d'honneur pour les hommes, de larmes pour les femmes, tentent de s'ancrer dans un nouveau sol, nourris aux valeurs de celui qui leur a donné vie.
Peut-on se choisir une patrie, oublié d'où l'on vient ? Le hasard choisi où l'on voit le jour, en est-il de même en ce qui concerne la voie que l'on choisit pour se construire ailleurs ?
Trois personnages liés par un destin tragique, leur exil, leurs choix pour s'intégrer. Ne pas se révolter devant les clichés, les incompréhensions, adopter la bonne attitude pour s'intégrer, douloureux parcours que celui du migrant qui doit renoncer à ce qui l'a construit. Alissa devient Alice, Oumar créé Adam, Kirem s'accroche à son histoire, refuse le monde qui l'entoure.
Un roman bouleversant qui se lit d'une traite, vous emporte dans un tourbillon d'émotions. L'existence n'est pas que grisaille, les hommes couleurs de ciel ont choisi l'amour de la vie.
Ma B.O du roman :
Né quelque part - Maxime Le Forestier
Sélection 2019 |
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