mercredi 25 septembre 2024

LE CLIENT MYSTÈRE de Mathieu LAUVERJAT


 CLIENT MYSTÈRE

Auteur : Mathieu LAUVERJAT

Aux Éditions SCRIBES

Alors qu’il pédale comme un dératé dans les rues de Lille pour livrer toujours plus de repas chauds, le narrateur de Client mystère est percuté par une voiture. S’il sort de l’accident sain et sauf (avec un bras mal en point), il se retrouve néanmoins « indisponibilisé » par les algorithmes de l’application pour laquelle il travaillait. Et donc, sans ressources.
C’est alors qu’il entend parler d’un métier curieux : les « clients mystères », des particuliers mandatés par les entreprises pour jouer aux clients afin d'évaluer les performances des employés à leur insu. Notre héros devient donc l’un de ces hommes invisibles à la solde du management contemporain.
Client mystère dépeint avec tension et vivacité le monde du travail au temps de l’ubérisation : dictature de l’algorithme, culte de l’efficacité, déshumanisation progressive des interactions sociales, consumérisme débridé… autant de thématiques explorées dans ce roman, récit d’un passage à l’ennemi – avec toutes les conséquences que cela peut entraîner.


Mon avis :

Totalement inattendu, ce roman est, me semble-t-il, un mixte entre roman et témoignage. L'histoire proposée par Mathieu Lauverjat saisie par son réalisme. Qui, après une expérience culinaire, n'a pas pris son portable pour noter l'établissement ? Saurait-on vivre sans au moins y penser ?

Le livreur de pizza devenu Client Mystère se prend totalement au jeu du challenge. Chaque jour, son shoot  d'adrénaline et les points à gratter sur la concurrence lui donnent une raison d'avancer. Jusqu'à l'accident. 

Ce roman ne m'a pas embarqué, trop de situations répétées pour me rendre sympathique ce personnage un peu cynique. Le narrateur, malgré son enthousiasme premier pour ce rôle encore plus anonyme que celui de livreur, se retrouve confronté à une réalité où l'efficacité et la rentabilité priment sur l'humain.

Ce monde où les individus ne sont que pions sur l'échiquier d'un système impitoyable, où la quête de la performance n'a de limite que celle de l'acceptabilité par le personnage de son anonymisation totale. 

Ce roman nous interroge sur les conditions de travail, la place de l'humain dans une société qui, à force d'automatisation isole toujours plus.

Le style de Mathieu Lauverjat est immersif, effréné, tendu, en reflet de la vie de son personnage. Le jargon managérial et les anglicismes soulignent la déshumanisation progressive du protagoniste. Les situations sont parfaitement décrites avec une précision quasi documentaire, rendant le récit instructif et probablement, pour ceux qui ont été sensibles, captivant.

Ce roman n'était pas fait pour moi. Néanmoins, il est extrêmement bien construit pour mettre en lumière les dérives de l'ubérisation. L'auteur nous offre une perspective unique sur la précarité, tout en mettant l'accent sur les défis et les absurdités de ce système. 

Je n'ai pourtant pas su le quitter avant l'épilogue. L'auteur maintient l'intérêt du lecteur dans l'attente de connaître les choix du protagoniste. 

 







mercredi 11 septembre 2024

LOIN DE LA FUREUR DU MONDE de Jérome CAMUT et Nathalie HUG

 

LOIN DE LA FUREUR DU MONDE

Auteurs : Jérôme CAMUT et Nathalie HUG
Aux Éditions Fleuve Noir

Il est la rumeur, et personne ne l`attrapera !
Massif des Pyrénées.
Alix vient d`être nommée policière municipale quand la disparition de son meilleur ami la pousse à s`aventurer seule dans la forêt primaire de la Mâchecombe. Une zone interdite qui jouit d`une sombre réputation. On raconte en effet que nombre de ceux qui s`y sont risqués n`en sont jamais revenus. Mais Alix ne craint pas la rumeur et, pour ceux qu`elle aime, elle braverait les pires dangers. Ce qu`elle ignore, c`est qu`elle s`apprête à entrer sur le territoire de John, un être sauvage et singulier qui manifeste une réelle hostilité envers les hommes...


Mon avis


Qu'y a-t-il de plus beau qu'une nature préservée ? La forêt primaire de Mâchecombe, est pourtant le théâtre de bien étranges phénomènes. 

Robert a décidé de s'installer dans ce petit village des Pyrénées, à l'écart du tumulte des villes, loin du bruit et de la pollution. Retrouvé une communauté de vie, une solidarité. Peu de criminalité pour ce policier municipal qui, après le drame de la disparition de sa femme a dû élever ses enfants seul. Où mieux qu'en ce village pyrénéen peut-on côtoyer des animaux, la nature.

Alix a choisi d'embrasser la même carrière afin de seconder son père, s'occuper de son petit frère, rester près de Christophe, son collègue et ami de toujours.

Cette forêt préservée pour le bien de tous est le théâtre de disparitions au fil des années. Cette fois, c'est Christophe qui ne revient pas d'une patrouille.

Jérôme Camut et Nathalie Hug offrent un thriller haletant sur fond d'écologie. Que fait-on pour préserver la nature, ceux que l'on aime ? Peut-on s'affranchir de la norme pour décider de vivre loin de la fureur du monde ?

Un petit écueil toutefois au récit selon moi, les dialogues au début de la rencontre entre La Rumeur et Alix. Le roman est cependant addictif. Impossible de ne pas s'attacher à Alix et John.

Les personnages sont développés, attachants. Le style est inimitable tant la symbiose des quatre mains est palpable. Le récit est haletant, les chapitres courts nous plongent dans l'attente insoutenable de ce qui va suivre pour les protagonistes. Les secrets enfouis et les manipulations des pères de familles dévoilés peu à peu maintiennent le lecteur en haleine jusqu'à l'épilogue.

Ce roman selon moi présente plusieurs niveaux de lecture : thriller à fort suspense avec des rebondissements multiples ; réflexion sur la nature humaine et la frontière entre l'humain et l'animal, les instincts primaires qui peuvent surgir dans les situations extrêmes ; une critique sociale de la société moderne, l'isolement, la solitude, la déconnexion avec la nature.

Ce roman nous incite à nous rappeler la célèbre citation de Albert Camus : "La vie est la somme de nos choix". 

Merci aux Éditions Fleuve Noir pour ce moment hors du temps.







samedi 7 septembre 2024

MADELAINE AVANT L'AUBE de Sandrine Collette

 

MADELAINE AVANT L'AUBE

Autrice Sandrine COLLETTE

Aux Editions JC Lattès

C’est un endroit à l’abri du temps. Ce minuscule hameau, qu’on appelle Les Montées, est un pays à lui seul pour les jumelles Ambre et Aelis, et la vieille Rose.

Ici, l’existence n’a jamais été douce. Les familles travaillent une terre avare qui appartient à d’autres, endurent en serrant les dents l’injustice. Mais c’est ainsi depuis toujours.

Jusqu’au jour où surgit Madelaine. Une fillette affamée et sauvage, sortie des forêts. Adoptée par Les Montées, Madelaine les ravit, passionnée, courageuse, si vivante. Pourtant, il reste dans ses yeux cette petite flamme pas tout à fait droite. Une petite flamme qui fera un jour brûler le monde.

Avec Madelaine avant l’aube, Sandrine Collette questionne l’ordre des choses, sonde l’instinct de révolte, et nous offre, servie par une écriture éblouissante, une ode aux liens familiaux.


Mon avis :

Tout d'abord, ce qui a retenu mon attention, c'est la bouille de cette gamine crasseuse. Madelaine avant l'aube. Un prénom si doux, une promesse nouvelle, celle de l'aube.

Au village des montées, Ambre et Aelis les jumelles, la vieille Rose vont la recueillir. La période est rude, la famine accable la région, les récoltes sont mauvaises et les Ambroisies règnent durement sur leur terre. Le fils du seigneur est un être sans foi ni loi, ses crimes sont impunis, qu'il détruise des récoltes pour des plaisirs de chasse ou qu'il exerce un droit brutal de cuissage, aucune compassion n'émane de cet esprit dérangé.

La famine règne, le labeur est toujours plus dur, mais ils sont ensemble. Trois fermes, une famille créée et unie par la misère, la mort omniprésente. Il faut s'attendre à ce que les plus faibles ne survivent pas. 

Le Basilic sinue le long des Montées sans livrer suffisamment d'eau pour nourrir les récoltes. C'est la famine. La mort n'est pas douce. Je me suis demandée si l'autrice avait choisi le nom du cours d'eau en analogie avec le serpent dont le regard est mortel -selon la mythologie-, comme le regard de Madelaine porte rage, haine puissante qui mèneront au chaos.

L'écriture de Sandrine Collette touche juste, entre poésie et dureté, pour raconter la force de cette gamine qui refuse la fatalité et l'injustice. La rage que Madelaine porte en elle, dans ce monde régenté par des prérogatives d'un autre âge, va bouleverser l'ordre établi.

L'autrice nous offre avec “Madelaine avant l’aube” un récit poignant, sombre, sans rémission qui nous transporte dans les terres du Morvan à une époque impitoyable. Elle dépeint, avec une poésie ciselée et une intensité de récit qui vous maintient en apnée, la vie des fermiers opprimés par des seigneurs qui considèrent le fruit de leurs efforts comme leur dû.

Dans une époque brutale, où les femmes sont réduites à l’état de biens, Madelaine émerge comme une fille bouillonnante de détermination, son prénom doux contraste avec la rage qui l’habite. Une rage viscérale née de l’injustice, de la souffrance qu'elle n'a eu d'autre choix que de combattre d'instinct avec force.

Le contraste entre l'innocence de la fillette Madelaine et la cruauté du monde qui l'entoure est particulièrement marquant.

Un récit d'une beauté crépusculaire, tragique.








mercredi 4 septembre 2024

LES ÂMES FRAGMENTÉES de Charlotte MONSARRAT


 LES ÂMES FRAGMENTÉES

Autrice : CHARLOTTE MONSARRAT

Aux Éditions Anne CARRIÉRE

Dans un futur proche, les tournages de cinéma, trop polluants, ont été interdits. À la place, un procédé permet d’extraire les souvenirs de personnes décédées pour les monter en films éphémères qui durent le temps que la mémoire s’efface.
Veronica, réalisatrice de filmémoires en panne d’inspiration, est condamnée à restaurer ses anciens succès pour gagner sa croûte. En dérushant les souvenirs d’un trafiquant de mémoires, elle découvre qu’elle a eu avec lui une relation amoureuse dont elle ne se souvient pas.
Aidée par sa compagne et sa mère, Veronica mène une enquête intime sur les traces de son passé. Pour retrouver son identité, elle doit recoller les morceaux de son âme fragmentée.


MON AVIS :


Charlotte Monsarrat nous propose un roman passionnant dans lequel on découvre que dans un futur proche où les tournages de cinéma sont interdits en raison de leur impact environnemental, une nouvelle technologie permet de créer des films à partir des souvenirs des personnes décédées. Ces films, appelés “filmémoires”, sont éphémères. Ils disparaissent avec le temps. 

Véronica, réalisatrice, est confrontée à la page blanche lorsqu’elle commence à travailler sur les souvenirs de Joachim Beckett, criminel, inventeur de l'extraction mémoriel, trafiquant de mémoires, décédé. Elle découvre avec stupeur qu’elle apparaît dans ses souvenirs, bien qu’elle n’en ait elle-même aucun souvenir. Aidée par sa compagne et sa mère, Elle se lance dans une enquête personnelle pour reconstituer son passé, comprendre ce qui lui est arrivé.

Il faut se laisser embarquer dans cet excellent roman d'anticipation, subtil, aux descriptions détaillées, aux dialogues percutants. Charlotte Monsarrat parvient à créer une atmosphère plombée, pas si futuriste lorsque l'on sait que déjà, il est possible de laisser une trace sur sa pierre tombale par le truchement d'un QR Code. Les prestations lucratives sont déjà présentes alors pourquoi pas les "filmémoires" ?

Les nombreux rebondissements de l'intrigue, construite de manière à maintenir un suspense tendu jusqu'à l'épilogue, captivent totalement.
La mémoire est fragile, les souvenirs volatils, l'autrice nous confronte aux thèmes de l'identité, de la quête de soi et des traumatismes que le cerveau enfouit profondément parfois. 

Charlotte Monsarrat dans ce premier roman nous donne à réfléchir sur les dérives d'une société qui sous couvert de progrès, technologique ou environnemental, offre des produits mercantiles pour améliorer le futur du plus grand nombre. L'extraction mémorielle est-elle réellement un progrès ? Nos souvenirs ne font-ils pas concrètement partie de notre identité ?

Véronica enquête pour enfin toucher du doigt les blancs dans son histoire et se remémorer de biens encombrants souvenirs qui bouleversent sa vie. Peut-on tronquer la mémoire de quelqu'un ? Avec quelles conséquences ? c'est un questionnement que ces nouvelles offres qu'une société consumériste nous soumet.

Merci aux 68premièresfois pour ce roman écrit, à la façon d'un épisode de "Black Mirror" pour nous donner à réfléchir, qui laissera une empreinte durable dans ma mémoire.