mardi 23 septembre 2025

Chronique EN ÎLE de KARINE PARQUET


 EN ÎLE

Autrice Karine Parquet

Aux Éditions de Borée

La rencontre bouleversante de deux êtres
prisonniers de leur destin
1934. Belle-Île-en-Mer.
Ida est contremaîtresse dans une conserverie.
Erik est détenu dans la colonie pénitentiaire pour mineurs de l’île.
Tous deux enfermés.
Tous deux victimes de violences.
Tous deux résignés.
Jusqu’à cette nuit d’août qui fera voler en éclats un destin qui semblait, pour l’un et l’autre, déjà tracé.


Mon avis

Ce roman est aussi fascinant que le déchaînement de la mer au cœur des grandes marées. Belle-Île-en-Mer : le bonheur de voir des gamins courir sur la plage sous l’œil vigilant des moniteurs de colonies de vacances dans les années 70. Mais derrière ces souvenirs lumineux, une autre histoire affleure, plus sombre, plus ancienne…

Une colonie d’un autre genre, pénitentiaire, où l’on envoie des enfants dont le seul tort est d’être nés à une époque où les maisons d’éducation s’apparentaient à des bagnes. Pour ne pas choquer les âmes bien-pensantes, la colonie agricole et maritime deviendra « maison d’éducation ». Mais ici, éduquer rime avec endurcir : les châtiments corporels sont légion. On roue de coups un enfant chétif comme Éloi, simplement parce qu’il est plus faible, avance moins vite, travaille moins fort. Pendant que les autres tournoient au bal, échine courbée, tête collée au dos de celui qui précède, la ronde ne doit pas flancher. Sous l’œil des gardiens, ils ploient, mais, comme Érik – le K ajouté pour la force –, ils ne rompent pas. Érik s’est souvent révolté, a goûté au mitard sans jamais renoncer. Il n’en a plus pour très longtemps : la majorité approche, alors il sera libre. Heureusement, il y a la mer.

Ida, elle, travaille à la conserverie depuis ses douze ans. Fillette, elle galopait pour rentrer aider à la ferme dès qu’elle avait terminé d’étêter, encore et encore. Elle aurait pu quitter l’île, l’héritage le lui aurait permis. Mais il y a eu Jean, le Thonier, fier de son métier, dur à la tâche, mais qui ne supporte pas que son épouse puisse être contremaîtresse alors qu’il n’est pas patron de pêche. Qui lui réfute le droit de lui reprocher de ne pas avoir d’enfant : un fils, c’est bien sa faute à elle. Buveur, jaloux, la tendresse de Jean s’est dissoute dans les embruns.

L’autrice, primo-romancière, signe un texte bouleversant, intense, que l’on quitte avec l’espoir d’une rédemption pour ces amants maudits. Elle décrit la cruauté des hommes, la beauté des lieux – même austères – avec une clarté magnifique. Son écriture, limpide, sans équivoque sur la dureté du vécu de ces enfants bagnards, sait aussi se faire tendre et brute pour saisir la fulgurance des émotions traversées par Érik, Ida, Jean, Éloi.

Ce roman s’inscrit dans une lignée de récits qui ont levé le voile sur les colonies pénitentiaires, comme L’Enragé de Sorj Chalandon ou Le Bagne des enfants de Christophe Belser. Mais ici, la fiction ne dilue en rien la réalité : la colonie de Belle-Île a bel et bien existé, et les enfants qu’on y envoyait n’avaient d’autre horizon que les falaises. Aucune échappatoire, sinon celle que l’imaginaire ou la mer pouvaient offrir. Comme le murmure Karine Parquet à travers la voix d’Érik : « Heureusement, il y a la mer. » Une mer qui nargue, qui berce, qui promet l’ailleurs, même si ce n’est qu’un leurre. Une mer qui, peut-être, sauve.

Ce texte mériterait d’être primé, tant pour la justesse de son écriture que pour la tension dramatique qui traverse les heures sombres de cette île pourtant si belle. Sa fiction, portée par une langue à la fois brute et tendre, donne chair à ces destins oubliés.




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