vendredi 3 octobre 2025

Chronique de UNE SALAMANDRE A L'OREILLE de Fabrice Capizzano

 

UNE SALAMANDRE A L'OREILLE

Auteur : Fabrice CAPPIZANO

Aux Editions Au Diable Vauvert

Ancien auteur en rupture avec l’écriture, apiculteur père de trois enfants, flanqué de son grand ami Robert, un tonton flingueur foutraque et haut en couleur, Samuel Page survit depuis la mort de sa femme, son grand amour, entre ses ruchers, l’éducation chaotique de ses trois enfants et la culpabilité.
Partagé entre le passé qui le ramène inlassablement à la tragédie et le présent qui le dépasse, incapable du deuil, c’est dans la compagnie de ses abeilles et au rythme de la nature qu’il trouve la paix et cherche à se reconstruire. Mais l’arrivée d’une stagiaire pleine d’impatience de vivre vient chambouler sa désespérance et raviver les blessures.


Mon avis

Samuel est un homme en ruine, brisé par le chagrin. Depuis la mort de Diane, son épouse, il se réfugie dans ses ruches comme on se terre dans un terrier. Il parle aux abeilles, leur prodigue des soins, leur confie ce qu’il ne peut dire à ses enfants. Ces derniers, eux, poussent comme des plantes : nourris d’amour mais livrés à eux-mêmes, ils grandissent en liberté, parfois en friche.

L’arrivée de Billie, stagiaire volcanique, n’est pas un choix mais une nécessité. Sans Robert, son ami de toujours, Samuel ne peut assurer seul la transhumance. Billie est efficace, intuitive avec les abeilles, et cela le pique. Il jalouse sa facilité, son enthousiasme, son bavardage incessant qui l’épuise. Elle l’agace autant qu’elle l’aide. Elle est là, et il doit faire avec.

Samuel voudrait ne vivre que pour ses abeilles et ses enfants, qu’il aime plus que tout. Mais le drame qui les a privés de leur mère le ramène sans cesse à sa culpabilité : celle de n’avoir rien vu, rien empêché. Diane était son tuteur, son socle. Elle portait leur quotidien pour qu’il puisse écrire. Mais l’écriture s’est tarie, engloutie par le miel, par les gestes, par le silence.

Et puis, il y a Zoïa. Une salamandre. Un NAC improbable, presque absurde, qu’il adopte comme on s’accroche à une bouée. Zoïa devient le miroir muet de sa douleur, de son besoin de mettre des mots sur ce qu’il n’a pas su dire. Elle est là, posée sur son épaule, comme un souffle, une présence, une oreille.

Le roman m’a paru ralenti, englué parfois dans les descriptions, dans l’omniprésence des abeilles. Mais au fil des pages, quelque chose se fissure. Une vérité crue surgit, une lumière inattendue. Le titre, étrange au départ, prend tout son sens à l’acmé du roman. Zoïa n’est pas qu’un animal : elle est le symbole d’un basculement, d’un réveil, d’un retour à soi.

Cette écriture m’a profondément déconcertée. Jusqu’à l’acmé du roman, on se perd dans la douleur du deuil que Samuel essaime au fil des pages, comme un pollen invisible. Il y a une maîtrise indéniable du dialogue, une tension sourde, et cette quête de rédemption qui prend une forme inattendue : une salamandre sur l’épaule, comme un talisman muet. Ce roman ne se livre pas facilement, mais il finit par révéler une vérité brute, presque organique : cette salamandre à l'oreille d'une femme qui n'est plue.



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