jeudi 14 août 2025

VA OU LA RIVIERE TE PORTE

 

VA OU LA RIVIERE TE PORTE

Autrice SHELLEY READ

Editions Pocket

Victoria Nash a dix-sept ans, et elle gère d'une main de maître le verger de pêches de son père, à Iola, petite ville du Colorado nichée entre les montagnes de la Big Blue Wilderness et la rivière Gunnison. Lorsqu'elle rencontre par hasard Wilson Moon dans les rues d'Iola, la vie semble lui sourire. Wil est un jeune vagabond au passé mystérieux, à la peau brune et aux yeux aussi noirs et brillants que des ailes de corbeau. L'étincelle qui s'allume entre eux va déclencher autant de passion que de malheurs.
Au cœur des lacs, des montagnes, des rivières, Victoria doit faire face aux changements de son temps tout en sauvant sa propre vie et celle de son verger.




Mon avis

Il y a des romans qui vous traversent comme une rivière. Celui-ci en est un. Torie (Victoria) Nash, 17 ans, vit dans le Colorado de l’après-guerre, entre deuils silencieux et vergers de pêches. Elle est le pilier discret d’une famille cabossée, jusqu’au jour où elle croise Wil Moon. Un père qui noie sa douleur dans le travail, un oncle revenu mutilé de la guerre, un frère éternellement en colère depuis la mort de leur mère et Torie qui s'assure que ces hommes ne manquent de rien oubliant ainsi que cette situation s'est imposée sans que du haut de ses 12 ans, elle n'ait eu le choix.

Wil est différent. Trop pour cette ville. Ostracisé pour sa peau, rejeté parce qu’il est indien — ou qu’on le croit Mexicain — il incarne cette mémoire américaine qu’on préfère taire : celle des peuples qu’on a parqués, des enfants qu’on a arrachés à leur famille pour les "intégrer". Wil ne trouve refuge que dans les bras de Torie, cette jeune fille trop occupée à aimer la terre pour haïr les hommes.

Leur amour est un cri doux, une résistance silencieuse. Mais dans l’Amérique des années 50, aimer hors des lignes, c’est déjà trahir. Et la rivière, les montagnes qui les unit, finit par les séparer.

Victoria va devenir une femme tout aussi brutalement qu'elle est devenue orpheline, tenir tête à l’administration, à son frère, aux femmes bien-pensantes qui condamnent son amour. Elle trouvera dans la sororité un refuge inattendu, une force douce mais tenace.

Et pourtant, au cœur de cette tragédie intime, la nature veille. Elle n’est pas décor, elle est personnage. La rivière devient confidente, les vergers mémoire vivante, les montagnes un rempart contre l’oubli. C’est dans cette terre rude et généreuse que Victoria apprend à se relever, à planter malgré les gelées tardives, à espérer malgré les silences. Car si les hommes vacillent, la terre, elle, reste. Et c’est peut-être là, dans ce lien viscéral à la nature, que réside la vraie résistance : celle de continuer à aimer, à transmettre, à exister, même quand tout semble vouloir vous effacer.

Un roman poignant, porté par la beauté sauvage des paysages, les cicatrices de la guerre, les silences du racisme ordinaire, et cette vérité douloureuse : parfois, l’amour ne suffit pas à sauver ce qui dérange, ce qui déborde, ce qui ne rentre pas dans les cases.

L’écriture de Shelley Read est fluide et captivante. Si certains personnages peuvent sembler un peu archétypaux — Wil Moon, doux et résilient, ou Seth, consumé par la haine et l’envie — ils incarnent des figures nécessaires à la tension du récit. Le roman explore surtout la condition féminine dans une époque où les femmes commençaient à peine à revendiquer leur propre valeur et leur droit à choisir leur destin. Il faudra encore plusieurs décennies avant qu’elles ne soient pleinement affranchies des décisions imposées par leurs époux.