dimanche 31 août 2025

L'APPELÉ de Guillaume Viry

 

L'APPELÉ

Auteur : Guillaume Viry

Aux Éditions du Canoë

Jean est appelé en Algérie en 1962. De retour en France, c'est à l'âge de trente ans qu'il meurt lors d'un dernier séjour à l'asile. Soixante ans plus tard, il suffit de presque rien, d'une confusion de prénom, pour que le passé surgisse comme une déflagration. Guillaume Viry narre le temps fracassé, et la folle histoire de la guerre d'Algérie et ses échos contemporains. Dans ce premier roman, l'auteur bouleverse et cristallise l'ampleur d'une tragédie.
Tout de blancs, de non-dits et de silences, L'Appelé révèle un écrivain.





Mon avis :


En un peu plus d’une centaine de pages, Guillaume Viry nous entraîne dans la vie de Jean, jeune appelé en Algérie, à travers une écriture poétique qui tente de dire l’indicible. Jean revient marqué à jamais par ce qu’il a vu : l’assassinat brutal de ses camarades de garde, égorgés en représailles, mais aussi les exactions commises par l’armée française — tortures, humiliations, violences infligées au nom d’une « pacification ». La guerre, des deux côtés, a révélé ce que l’être humain peut produire de plus sombre.

De tout cela, Jean ne parle qu’au vieux Marec, son chien, seul confident qui n’attend ni explication ni jugement. Sa famille, elle, minimise : on lui propose de reprendre sa place dans l’entreprise familiale. Dans les années 60, le travail est perçu comme une vertu cardinale, un exutoire, et la continuité de l’activité comme une évidence. Mais rien ne peut effacer les images qui le hantent.

L’auteur ne se limite pas à décrire un traumatisme : il met en lumière le poids du silence, l’absence de mots, et la difficulté de retrouver sa place dans un monde qui préfère tourner la page. Il rappelle aussi que certaines guerres restent absentes des manuels scolaires, comme si l’oubli pouvait protéger.

Ce roman, à la fois sobre et bouleversant, interroge la mémoire, la fragilité de la paix et la nécessité de transmettre ces histoires pour comprendre ce que la guerre laisse derrière elle : des vies brisées, des familles marquées, et des blessures qui se transmettent parfois de génération en génération.

Par sa forme poétique et son regard sensible, L’Appelé est un texte qui mérite d’être lu, partagé et discuté, tant pour ce qu’il raconte que pour ce qu’il nous invite à questionner sur notre rapport à l’histoire et à l’humanité.

Par son écriture singulière, Guillaume Viry donne à entendre une voix qui vacille entre souffle et silence, avant de se déployer dans une prose poétique, brute et fragile.Des phrases éclatées, des mots qui se répètent comme des coups sourds : la prose poétique de L’Appelé se lit comme un souffle, entre apnée et déflagration.




samedi 30 août 2025

VEILLER SUR ELLE de Jean-Baptiste ANDREA


     VEILLER SUR ELLE

Auteur : Jean-Baptiste ANDREA

Aux Éditions Collection Proche

Au grand jeu du destin, Mimo a tiré les mauvaises cartes. Né pauvre, il est confié en apprentissage à un sculpteur de pierre brutal et sans talent. Mais il a du génie entre les mains. Héritière du clan Orsini, Viola a passé son enfance à l’ombre d’un palais génois. Libre et passionnée, elle a trop d’ambition pour se résigner à la place qu’on lui assigne.
Ces deux-là n’auraient jamais dû se rencontrer. Au premier regard, Viola et Mimo jurent de ne jamais se quitter. Liés par une attraction indéfectible, ils traversent des années de fureur quand l’Italie bascule dans le fascisme. Mimo prend sa revanche sur le sort, mais à quoi bon la gloire s’il doit perdre Viola ?




Mon avis :


Une fresque romanesque où l’art, l’amour et la liberté se dressent face aux vents de l’Histoire


L’auteur nous offre un roman construit comme une enquête, à travers le regard de Mimo — Michelangelo Vitaliani — qui, agonisant, se remémore ce qui a fait de lui un homme contraint de se cacher pour mourir. Autour de lui gravite le clan Orsini : deux frères, l’un ambitieux ecclésiastique, proche du Pape ; l’autre, séduit par les promesses d’avenir d’un dictateur en devenir. Leurré par l’illusion d’un pouvoir qu’on lui concède tant qu’il reste docile, il accepte d’être la main qui frappe dans l’ombre, à condition de ne jamais défier l’autorité souveraine. 

Le souffle historique du récit prend corps dans la voix de Viola, qui égrène à Mimo les noms de cinq vents balayant l’Italie, comme l’écho d’un futur inéluctable si nul ne se dresse contre la tempête. Elle les lui murmure pour qu’il les grave en lui et saisisse les enjeux de ce qui, bientôt, sculptera leurs destins.

Ce roman, à la fois captivant, poétique et dur, raconte le destin tragique d’une jeune femme assignée à une place qu’elle refuse. Brillante, elle se rêvait pilote d’aéronef, passionnée d’art, et fut la première à déceler le talent de sculpteur de Mimo. Pour certains, la connaissance est une prison ; pour d’autres, elle est liberté. Elle veut le meilleur pour ce garçon pas comme les autres, qui comprend son besoin de s’allonger, la nuit, sur une tombe, pour écouter le bruissement de l’obscurité, regarder les lucioles. Deux êtres différents, moins bien né pour l’un, mais enfermés dans la même prison, épris de liberté.

De cette rencontre naît l’absolu, celui qui scelle les destins jusqu’au dernier souffle. Un roman-fleuve, porté par la quête d’une statue, une Pièta, dont l’aura unique, puissante ferait la gloire de celui qui la posséderait — une création forgée par un amour fou.

Jean-Baptiste Andréa nous offre bien plus qu’une histoire : il nous confie une mémoire, celle de deux êtres qui ont sculpté leur liberté à coups de passion et de courage, dans un monde qui voulait les enfermer.

Fermer Veiller sur elle, c’est comme quitter une salle où résonne encore une musique qu’on n’oubliera pas. On reste là, un instant, à écouter le silence après la dernière note, le cœur serré par ce qu’on vient de vivre.


jeudi 28 août 2025

BANC DE BRUME de Sophie BERGER

 

BANC DE BRUME

Autrice Sophie Berger

Aux Éditions Gallimard

« Je suis restée l’enfant qui n’ose pas demander qu’on lui explique. Celle qui se tait. Celle qui entend le coup de téléphone tardif, qui sonde le ton de la réponse de sa mère, celle qui cherche des indices dans la voix des adultes, dans le brouhaha ambiant, dans le bruit du monde. »
D’Olivier et Yvonne, jeunes mariés morts dans un accident d’avion en 1976, leur nièce Alice n’a jamais rien su. La sidération a confisqué l’histoire. Devenue réalisatrice son, elle se lance dans une recherche qui la mène à recomposer leur destin. Alice scrute les photos, fouille les archives et articles de presse. De la bande-son rock’n’roll aux récits des témoins retrouvés émerge peu à peu l’écho d’une jeunesse des années 70. La preneuse de son explore le silence qui a entouré le drame familial, pour en découvrir les résonances dans le présent, au-delà de la seule sphère intime.
Délicat et juste, ce premier roman de Sophie Berger est une réflexion sur le deuil, et sur la nature du silence qui l’accompagne parfois d’une génération à l’autre.


Mon avis :

Sophie Berger nous invite à éprouver le vide laissé chez Alice par ces jeunes mariés, disparus trop tôt et relégués au silence. Il lui aura fallu se retrouver dans un grenier, découvrir une photo sépia pour enclencher ce besoin impérieux de les sortir du silence. 

Alice, preneuse de son, est à l’écoute des silences. Elle commence à investiguer. À défaut d’interroger sa propre famille, encore repliée dans un deuil muet, elle cherche ailleurs : dans les coupures de journaux, les dossiers de la gendarmerie, les voix de ceux qui étaient là. Peu à peu, le flou autour d’Olivier et Yvonne se dissipe. Ils ne sont plus seulement ces figures disparues trop tôt, mais des êtres incarnés, saisis dans leur élan, leurs fragilités, leur intensité.

Dans ce roman, il y a la brume du matin, celle du titre, mais aussi celle des souvenirs effacés, des liens interrompus. La narration, pudique, ne force jamais l’émotion. Elle laisse la place au ressenti, à l’écho discret de ce qui a été perdu, à l'enquête quasi policière d'une jeune femme qui a décidé que le silence devait être rompu pour raconter l'histoire de ce qui aurait pu être si le silence et la brume n'avait pas étouffé ce qui avait fait l'existence d'Olivier et Yvonne avant le drame.

Avec justesse et retenue, Sophie Berger explore les silences de la famille, ceux qu’on respecte sans toujours les comprendre. Elle signe un premier roman sensible, où la quête d’Alice devient celle de tous ceux qui ont grandi au bord d’un vide, sans jamais avoir pu y poser de mots.

En refermant ce livre, il reste une sensation flottante, comme une brume qui mettrait les cœurs à nu. Celle d’avoir approché, avec pudeur, ce qui continue à vivre même dans l’absence.




lundi 18 août 2025

LE SECRET DE JEANNE de Sophie Astrabie

 

Le Secret de Jeanne

Autrice Sophie Astrabie

Aux Éditions Flammarion

Alors qu'elle pensait son père mort depuis dix-sept ans, Alexandra apprend son décès. Elle n'ose interroger sa mère, mais quand elle découvre un plan de la maison de sa grand-mère indiquant la présence d'une porte cachée, elle ne peut s'empêcher de fouiller. Ainsi ressurgissent les secrets de Jeanne, une éleveuse d'oies dans les années 1930, et de Nicole, une femme mariée des années 1980.







Mon Avis :

Il y a des romans qui vous happent sans bruit, comme une porte entrouverte sur un passé qu’on croyait oublié. Le Secret de Jeanne fait partie de ceux-là. Trois femmes, trois voix, une mémoire qui ne demande qu’à être entendue.

Jeanne est née en milieu rural, gardienne d'oie, elle vit une vie tranquille et oisive, jusqu'à ce qu'un drame l'oblige à 14 ans à "monter à Paris", y rejoindre une cousine. La tendresse n'a pas sa place dans ce monde rude où seule la nature offre un peu de beauté. Jeanne est sensible à la beauté.

Nicole se sent moins désirée que sa soeur Claudine, plus jolie, mieux aimée. Elle convoite toutes deux le beau Jacques. Finalement, Nicole aimera Marc, l'ami de Jacques. Marc a cela de commun à Nicole de se sentir comme un second choix, toujours en compétition avec Jacques. Des rivalités toxiques.

Alexandra ne sait pas grand chose de son enfance sinon que son père est mort lorsqu'elle avait 4 ans dans un accident de circulation. Le coup de fil d'un notaire lui annonçant la mort de son père va totalement bouleverser ses certitudes.

Ce roman nous parle des non-dits, des secrets de familles qui même inconnus ont un impact inconscient sur les générations suivantes. Nous sommes la somme de nos choix, même s'ils sont parfois dictés par l'absence de connaissance du passé des générations précédentes.

Les personnages sont attachants, résilients, des femmes fortes et fragiles à la fois. Sophie Astrabie de son écriture romanesque questionne la place des femmes, leur instinct de protection, leur vie laborieuse mais passionnée comme celle de Jeanne aux portes de la Guerre. La petite Jeanne, si naïve, tombée amoureuse de l'art et d'un peintre capable de poser des émotions sur une toile et de s'en affranchir dans la vie de tous les jours en ces temps troublés. 

Sophie Astrabie explore les secrets de famille, ces silences transmis comme des héritages invisibles, interroge la place des femmes dans une société où l’amour, la résilience et la douleur se mêlent sans toujours se dire.

Et puis il y a cette phrase de l'autrice : « La mémoire n’est pas récit, elle est matière.* » Un tableau glissé parmi d’autres, une douleur cachée à la vue de tous. Il faudra la volonté de Jeanne pour briser le cycle, pour qu’Alexandra reprenne les rênes de sa vie et comprenne enfin ce qui l’a précédée.

Un accrolivre doux et puissant, qui nous rappelle que nous sommes faits de ce que l’on sait… et surtout de ce que l’on ignore.

Pour en savoir plus : 

https://www.bing.com/videos/riverview/relatedvideo?q=le+secret+de+jeanne+de+sophie+astrabie+youtube+vid%c3%a9o&mid=BF5BB68BE3A59CA27920BF5BB68BE3A59CA27920&FORM=VIRE

jeudi 14 août 2025

VA OU LA RIVIERE TE PORTE

 

VA OU LA RIVIERE TE PORTE

Autrice SHELLEY READ

Editions Pocket

Victoria Nash a dix-sept ans, et elle gère d'une main de maître le verger de pêches de son père, à Iola, petite ville du Colorado nichée entre les montagnes de la Big Blue Wilderness et la rivière Gunnison. Lorsqu'elle rencontre par hasard Wilson Moon dans les rues d'Iola, la vie semble lui sourire. Wil est un jeune vagabond au passé mystérieux, à la peau brune et aux yeux aussi noirs et brillants que des ailes de corbeau. L'étincelle qui s'allume entre eux va déclencher autant de passion que de malheurs.
Au cœur des lacs, des montagnes, des rivières, Victoria doit faire face aux changements de son temps tout en sauvant sa propre vie et celle de son verger.




Mon avis

Il y a des romans qui vous traversent comme une rivière. Celui-ci en est un. Torie (Victoria) Nash, 17 ans, vit dans le Colorado de l’après-guerre, entre deuils silencieux et vergers de pêches. Elle est le pilier discret d’une famille cabossée, jusqu’au jour où elle croise Wil Moon. Un père qui noie sa douleur dans le travail, un oncle revenu mutilé de la guerre, un frère éternellement en colère depuis la mort de leur mère et Torie qui s'assure que ces hommes ne manquent de rien oubliant ainsi que cette situation s'est imposée sans que du haut de ses 12 ans, elle n'ait eu le choix.

Wil est différent. Trop pour cette ville. Ostracisé pour sa peau, rejeté parce qu’il est indien — ou qu’on le croit Mexicain — il incarne cette mémoire américaine qu’on préfère taire : celle des peuples qu’on a parqués, des enfants qu’on a arrachés à leur famille pour les "intégrer". Wil ne trouve refuge que dans les bras de Torie, cette jeune fille trop occupée à aimer la terre pour haïr les hommes.

Leur amour est un cri doux, une résistance silencieuse. Mais dans l’Amérique des années 50, aimer hors des lignes, c’est déjà trahir. Et la rivière, les montagnes qui les unit, finit par les séparer.

Victoria va devenir une femme tout aussi brutalement qu'elle est devenue orpheline, tenir tête à l’administration, à son frère, aux femmes bien-pensantes qui condamnent son amour. Elle trouvera dans la sororité un refuge inattendu, une force douce mais tenace.

Et pourtant, au cœur de cette tragédie intime, la nature veille. Elle n’est pas décor, elle est personnage. La rivière devient confidente, les vergers mémoire vivante, les montagnes un rempart contre l’oubli. C’est dans cette terre rude et généreuse que Victoria apprend à se relever, à planter malgré les gelées tardives, à espérer malgré les silences. Car si les hommes vacillent, la terre, elle, reste. Et c’est peut-être là, dans ce lien viscéral à la nature, que réside la vraie résistance : celle de continuer à aimer, à transmettre, à exister, même quand tout semble vouloir vous effacer.

Un roman poignant, porté par la beauté sauvage des paysages, les cicatrices de la guerre, les silences du racisme ordinaire, et cette vérité douloureuse : parfois, l’amour ne suffit pas à sauver ce qui dérange, ce qui déborde, ce qui ne rentre pas dans les cases.

L’écriture de Shelley Read est fluide et captivante. Si certains personnages peuvent sembler un peu archétypaux — Wil Moon, doux et résilient, ou Seth, consumé par la haine et l’envie — ils incarnent des figures nécessaires à la tension du récit. Le roman explore surtout la condition féminine dans une époque où les femmes commençaient à peine à revendiquer leur propre valeur et leur droit à choisir leur destin. Il faudra encore plusieurs décennies avant qu’elles ne soient pleinement affranchies des décisions imposées par leurs époux.